En 2000, Yasmine Motarjemi quitte l’Organisation mondiale de la santé pour rejoindre Nestlé, numéro un mondial de l’agroalimentaire. Scien-tifique de renom, experte en sécurité des aliments, elle accepte le poste de « Directrice de sécurité sanitaire des aliments au niveau mondial » avec une ambition claire : protéger les consommateur·trices. Elle découvre rapidement que cette ambition entre en contradiction avec les pratiques de l’entreprise.
Des biscuits pour bébés qui bloquent la gorge des bébés de huit mois et provoquent leurs étouffements. Ceux-ci survivent, mais d’autres meurent avec les saucisses knacki. Des pâtes à cookies contaminées qui causent des toxi-infections graves chez les consommateurs. Des laits infantiles contaminés par des substances toxiques telles que la mélamine. Violation des normes nutritionnelles, etc. Des incidents qui étaient la conséquence directe de lacunes dans la gestion de la sécurité des aliments, parfois aggravés par des négligences délibérées, alors qu’elle se battait pour les prévenir.
Mais ses avertissements, loin d’être pris en compte, déclenchent des représailles à son encontre. Elle est progressivement écartée des dossiers, privée de ses responsabilités, et subit de nombreuses humiliations. Lors-qu’elle demande un audit indé-pendant de son département pour la gestion de la sécurité des aliments, Nestlé le lui refuse, mais diligente une enquête interne à charge. En janvier 2010, elle est licenciée pour « diver-gences de vues dans la gestion de la sécurité des aliments ». C’est un choc.
Elle décide alors d’entamer un combat inégal contre un géant. Seule. En 2011, elle dépose plainte pour harcèlement moral. La procédure dure plus de douze ans. Nestlé multiplie les demandes, les recours, les reports. Ces manœuvres épuisent peu à peu ses ressources financières, avec un coût total avoisinant le million de francs suisses.
Au fil de la procédure, elle a découvert d’autres pratiques alarmantes qui ont renforcé sa conviction. Il s’est avéré que chez Nestlé, les managers perdaient une partie de leurs primes à chaque fois qu’un produit devait être rappelé. Ce système incitait clairement à passer sous silence les problèmes plutôt qu’à les signaler. Cela en disait long : Nestlé connaissait ces dysfonctionnements, mais a préféré fermer les yeux pour préserver ses profits.
Le combat de Yasmine Motarjemi est avant tout un combat pour l’intérêt général : la santé publique. Nestlé, géant mondial de l’agroalimentaire, vend chaque jour plus d’un milliard de produits à travers le monde — autant de consommateurs potentiellement exposés. À plusieurs reprises, Nestlé lui a proposé un règlement à l’amiable, à condition qu’elle reste silencieuse. Elle a toujours refusé. Détourner le regard face à des manquements aussi graves à la sécurité alimentaire était simple-ment impensable pour elle.
En janvier 2020, la Cour d’appel du canton de Vaud reconnaît Nestlé coupable de harcèlement systéma-tique, d’avoir enclenché une enquête interne biaisée et d’avoir brisé la carrière de Yasmine Motarjemi. En 2023, la multinationale abandonne tout recours et est condamnée à lui verser deux millions de francs plus intérêts pour perte de revenus (imposable au taux d’environ 40%), 100 000 francs de frais de justice, et un franc symbolique pour le préjudice moral. Cependant, à ce jour, Nestlé n’a pas reconnu ses torts et les autorités n’ont pas donné suite à ses signalements.
En mars 2025, elle publie Ce que l’empire Nestlé vous cache, coécrit avec le journaliste d’investigation Bernard Nicolas. Un livre pour témoi-gner, alerter, et surtout pour rappeler que ce combat dépasse son histoire personnelle. Il concerne chacune et chacun d’entre nous.