Le témoignage impressionnant du brigadier-chef Amar Benmohamed sur des violations flagrantes et dégradantes de leurs droits infligées par des policiers à des centaines de personnes placées sous leur garde a suscité une très vive et légitime émotion. Il a immédiatement entraîné la saisine du Défenseur des droits et du procureur de la République de Paris.
M. Benmohamed a eu beaucoup de courage en prenant publiquement la parole. Il l’a fait parce qu’il avait d’abord saisi par écrit sa hiérarchie, sans résultat. Bien au contraire, du fait de cette saisie, il subit des menaces et des vexations. Et chacun imagine bien aujourd’hui combien la situation professionnelle de Amar Benmohamed est difficile s’il ne reçoit pas le soutien de son ministre.
Or quelle n’est pas aujourd’hui notre surprise de voir ce dernier, interrogé à l’Assemblée nationale, critiquer ce brigadier-chef pour n’avoir pas alerté assez vite sa hiérarchie et insinuer qu’il serait lui-même passible de sanctions.
M. Benmohamed, en prenant la parole, s’est pourtant élevé à la hauteur des lois les plus fondamentales et anciennes de notre République, qui s’imposent à tout citoyen français. L’article 2 de la Déclaration de 1789 des droits de l’Homme et du citoyen, qui fait partie de notre Constitution, consacre la résistance à l’oppression comme l’un des quatre droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Or le racisme est une oppression insupportable d’abord pour tous ceux qui le subissent, mais aussi pour ceux qui en sont le témoin. Il est contraire à nos lois, et sanctionnable pénalement.
En outre, aux termes de l’article 40 du code de procédure pénale, « Tout fonctionnaire « qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République » et de lui transmettre tous les renseignements qui y sont relatifs.
Depuis 2016, la loi française a reconnu le statut de lanceur d’alerte à toute personne qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France. Le signalement est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, puis à l’autorité judiciaire. A défaut de prise en compte dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public. Ce statut légal a, au surplus, vocation à être renforcé par une directive européenne en date du 23 octobre 2019 qui prévoit une immunité intégrale pour le lanceur d’alerte de bonne foi, y compris fonctionnaire, lorsque ce dernier se voit opposer le devoir de réserve. Face à des faits d’une telle gravité, le devoir de réserve s’efface devant l’intérêt du public à connaître de tels dysfonctionnements au sein de l’institution policière.
M. Amar Benmohamed, en prenant la parole, a donc parfaitement respecté la loi. Il a choisi de placer au-dessus de ses intérêts de carrière les valeurs fondamentales de notre République. Il aurait dû recevoir immédiatement le soutien et la protection de son ministre.
Car de cette protection, il en a bien besoin. Certes quatre policiers directement mis en cause pour leurs actes seraient sous le coup d’une mesure disciplinaire. Mais des hauts fonctionnaires de police placés sous l’autorité du ministre ont, pendant de longs mois et en toute connaissance de cause, laissé se perpétrer en plein cœur de Paris, dans les sous-sols du Tribunal de Grande instance de notre capitale, des violences et des actes humiliants attentatoires à la dignité de la personne. Ils sont toujours les chefs de M. Benmohamed et voilà qui devrait faire immédiatement réagir le ministre de l’intérieur si les valeurs de notre République ne sont pas pour lui que de bons mots sans sens ni contenu.
Les valeurs de la citoyenneté française, de l’égalité de chacun devant la loi à la laïcité, ne sont des garanties de notre paix civile et de l’avenir de notre République que si ceux qui les font vivre au quotidien et parfois au péril de leur carrière ou de leur sécurité trouvent dans les autorités de la République le respect et le soutien qu’ils méritent. Voilà ce que nous attendons de M. le Ministre de l’Intérieur.
Signataires
- William Bourdon, Avocat au barreau de Paris, président fondateur de Sherpa
- Nadège Buquet, co-présidente de la Maison des Lanceurs d’Alerte
- Paul Cassia, Professeur de Droit public, Université Paris 1
- Antoine Deltour, lanceur d’alerte des LuxLeaks, administrateur de la Maison des Lanceurs d’Alerte
- Patrick Weil, Historien, Directeur de recherches au CNRS, Université Paris 1