Un groupe de 146 organisations de la société civile expriment leur vive préoccupation au sujet de l’action judiciaire engagée en République démocratique du Congo par l’homme d’affaires israélien Dan Gertler contre la principale coalition anti-corruption en RD Congo, Le Congo n’est pas à vendre (CNPAV). La procédure pénale (citation directe) engagée au début du mois de mars vise le porte-parole du CNPAV, Jean-Claude Mputu, et son employeur Resource Matters, une organisation de la société civile belge membre de la coalition CNPAV.
Le procès porte sur une interview que Jean-Claude Mputu a accordée au média Actualite.cd à propos des sommes d’argent que les entreprises de Dan Gertler ont gagnées en RDC. Bien que la coalition CNPAV ait publié des informations pour étayer ses affirmations, Dan Gertler a intenté une action en diffamation et réclame un million d’euros de dommages et intérêts.
Dan Gertler et son réseau ont initié une série de poursuites judiciaires contre des militants anti-corruption, des lanceurs d’alerte, des journalistes et des groupes de la société civile au cours des deux dernières années. Cela inclut notamment une action en justice contre deux autres membres du CNPAV – à savoir la Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique (PPLAAF) et Global Witness – ainsi que contre le site Internet spécialisé African Intelligence, le journal israélien Haaretz et deux de ses journalistes. Deux lanceurs d’alerte employés par Afriland First Bank à Kinshasa qui ont révélé des allégations de blanchiment d’argent manifeste au profit de Dan Gertler ont également fait l’objet de poursuites. Suite à une procédure judiciaire profondément entachée d’irrégularités en RDC, les deux lanceurs d’alerte ont été condamnés à mort par contumace. Aucune enquête n’a été ouverte sur les allégations de blanchiment d’argent qu’ils ont signalées.
« Les poursuites contre les membres de la coalition CNPAV sont les dernières en date d’une avalanche de procès intentés par Dan Gertler et son réseau contre ceux qui soulèvent à juste titre des questions sur la transparence et la redevabilité en matière de marchés publics », ont déclaré les organisations. « Nous sommes extrêmement préoccupés par le fait que les activistes et les organisations de lutte contre la corruption sont pris pour cible, menacés, intimidés et harcelés simplement parce qu’ils font leur travail. De telles intimidations peuvent dissuader d’autres personnes d’agir pour demander des comptes aux autorités et aux acteurs privés. »
Un Protocole d’accord controversé signé en février 2022 entre Dan Gertler et les autorités de la RDC a suscité un vaste débat public. Ce règlement amiable prévoit que Dan Gertler revendra une partie de ses actifs pétroliers et miniers à l’État congolais et que sa société conservera le droit de collecter d’importants royalties sur trois mines de cuivre et de cobalt pendant les quinze prochaines années. Le règlement protège également Dan Gertler et son réseau de toute enquête judiciaire en RDC.
L’accord prévoit en outre que le gouvernement congolais s’engage à soutenir les efforts de Dan Gertler visant à lever les sanctions anti-corruption imposées par les États-Unis à son encontre. Depuis 2017, Dan Gertler et une dizaine de sociétés qui lui sont liées ont été sanctionnés par le gouvernement américain en vertu du Global Magnitsky Human Rights Accountability Act (loi Magnitsky sur la responsabilité en matière de droits humains). Le communiqué de presse annonçant les sanctions contre Dan Gertler indiquait que ce dernier avait « amassé sa fortune grâce à des centaines de millions de dollars de transactions pétrolières et minières opaques et entachées de corruption » en RD Congo. Après les sanctions initiales de 2017, les États-Unis ont sanctionné 14 autres entreprises affiliées à Gertler en juin 2018 et 12 autres en décembre 2021. Dan Gertler a demandé à plusieurs reprises l’allégement des sanctions et a nié tout acte répréhensible.
Le 7 février, Dan Gertler a écrit à la coalition CNPAV et à un groupe d’organisations non gouvernementales de premier plan déclarant que les sanctions américaines avaient été « handicapantes » et qu’il avait « été puni ». Il a exhorté les groupes à soutenir le nouvel accord qui, selon lui, était « le plus grand transfert consensuel de l’histoire de la région ». Dans une réponse en date du 15 mars, les organisations ont expliqué qu’elles ne pouvaient pas cautionner l’accord, car trop d’interrogations subsistent quant à son contenu, notamment le manque de transparence sur les droits de collecter de lucratifs royalties que Dan Gertler conserverait. Dans un courrier séparé du 8 mars 2023, une coalition de 25 organisations de la société civile, dont le CNPAV, a exhorté l’administration américaine à ne pas assouplir les sanctions contre Dan Gertler en l’absence de mesures de redevabilité appropriées et d’un changement de comportement démontrable de la part de l’intéressé.
Les organisations sont profondément préoccupées par le fait que les actions engagées contre Jean-Claude Mputu et Resource Matters sont des poursuites stratégiques contre la mobilisation publique ou SLAPP. Les SLAPP constituent une forme de harcèlement juridique employée par les personnes aux poches profondes pour tenter de faire taire les militants, les journalistes et autres organismes publics de contrôle public par le biais d’intimidations juridiques et de procédures judiciaires coûteuses.
« La bonne gestion des ressources naturelles abondantes de la RD Congo repose sur la transparence, la responsabilité et le contrôle citoyen pour s’assurer que le peuple congolais en récolte réellement les bénéfices. La protection des droits de ceux qui soulèvent des questions légitimes relève de la responsabilité des autorités congolaises et est essentielle pour parvenir à la responsabilisation et à l’État de droit. Les corrompus et les puissants sont les seuls à tirer parti du musellement des journalistes et des activistes de la lutte contre la corruption. »
Note aux rédactions :
Dan Gertler a annoncé l’engagement d’une action judiciaire contre Jean-Claude Mputu et Resource Matters pour « imputations dommageables » (qui s’apparentent à la diffamation) devant le Tribunal de Paix de Gombe à Kinshasa le 8 mars. La prochaine audience doit se tenir le 3 juillet 2023.
Le 13 avril, Gertler a envoyé une lettre à un certain nombre de groupes de défense des droits de l’homme et de lutte contre la corruption indiquant qu’il suspendrait certaines des poursuites qu’il avait engagées contre des organisations de la société civile et des médias. Il n’a pas précisé lesquels. Il a publié une nouvelle déclaration le 14 avril. Compte tenu des multiples poursuites intentées par Gertler, nous attendons des éclaircissements supplémentaires pour confirmer les mesures concrètes que lui et son réseau ont prises pour mettre fin aux procès bâillon. À notre connaissance, aucune des poursuites n’a été retirée à ce jour.
SIGNATAIRES
11.11.11
350Africa.org
ACAT CONGO
Accountability Counsel
ACEDH
Action Contre l’Impunité pour les Droits Humains (ACIDH)
Action des jeunes pour le développement et la défense des droits humains
Action Mines Guinée
Action Paysanne Contre la Faim
Actions pour la Défense et la Promotion des Droits Humains (ADPDH)
ADDH
AEMAPRI
Africa Institute for Energy Governance (AFIEGO)
Afrikki
Agir ensemble pour les droits humains
Alliance Communautaire pour la Nature et le Développement (ACND)
Alliance for Food Sovereignty in Africa
Amnesty International
Andrew Lees Trust
ASADHO
BEST
BLOOM
Blueprint for Free Speech
C4GA
Cadre de Concertation de la société civile de l’Ituri sur les Ressources Naturelles (CdC/RN)
Cadre de Concertation Provincial de la Société Civile du Kasaï Central (CCPSC -KA)
Cadre de Consertation pour la Reforme des Services de Sécurité et la Justice
CARITAS BUNIA/CDJP
Cenadep
Center for Environmental Research and Agriculture Innovations (CERAI)
Center for Transnational Environmental Accountablility
Centre congolais pour le droit du développement durable (CODED)
Centre for Applied Legal Studies (University of Witwatersrand, South Africa)
Centre pour la Justice et la Réconciliation (CJR)
Centre Régional Africain pour le Développement Endogène et Communautaire (CRADEC)
Cetri
CNCD-11.11.11
Coalition Nationale Publiez Ce Que Vous Payez (RDC)
Coalition pour la Gouvernance des Entreprises Publiques (COGEP)
Collectif des ONG œuvrant dans le secteur de Mines, Environnement et Electricité (COMEE)
Commission Diocésaine Justice et paix Kabinda
Commission Diocésaine Justice et Paix Belgique
Communities First
Conseil Regional des Organisations Non Gouvernementales de développement
Corap
Core Care Africa(CCA)
Corner House
Corporate Accountability Lab
CREDDHO
Détectives Experts pour les Droits au Quotidien (DEDQ)
Dimension Humaine
Dynamique des femmes pour l’environnement et son développement (DYFED)
EarthRights International
Earthworks
EG Justice
Environmental Investigation Agency (EIA USA)
European Network for Central Africa (EurAc)
FILIMBI
Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux
Foundation For Environmental Rights Advocacy & Development (FENRAD
Friends of Angola
Friends of the Earth Europe
Global Legal Action Network (GLAN)
Global Witness
Goma Actif
Goma Slam Session
Green Advocates International
Heartland Initiative
HEDA Resource Centre
Human Rights Foundation
Human Rights Watch
Inclusive Development International
Index on Censorship
Initiative pour la bonne gouvernance et les droits humains
Initiatives pour la Paix et les Droits Humains (iPeace)
Innovation pour le Développement et la Protection de l’Environnement
International Lawyers Project
International Rivers
IPDHOR
IPIS – International Peace information Service
Jamaa Resource Initiatives
JICOM
Justice Pour Tous
l’Observatoire d’Etudes et d’Appui à la Responsabilité Sociale et Environnementale (OEARSE)
L’Observatoire de la gouvernance de la sécurité privée (L’Observatoire)
La Maison des Lanceurs d’Alerte
Les Mêmes Droits pour Tous (MDT)
Ligue pour la transparence dans le secteur Extractif (LITRASE)
Lliga dels Drets dels Pobles
London Mining Network
LUCHA RDC
Lumière Synergie pour le Développement
MABOKO OKO
MiningWatch Canada
Mouvement des jeunes en actions pour le changement (Mojac-RDC)
Mouvement pour les Droits de l’Homme et la Reconciliation (MDR)
Muslims for Human Rights (MUHURI)
Natural Justice
Natural Resource Governance Institute (NRGI)
Never Again Coalition
New Media Advocacy Project
No Business With Genocide
Nouvelle Dynamique de la Société civile en RDC (NDSCI)
Observatoire de la Dépense Publique
OIP TRUST
Oisillons
ONG ACOMB
ONG Créativité & Développement
ONG-AJUPE
Open Contracting Partnership
OPENDRC
Organisation pour la protection de l L’environnement et le développement durable (OPED)
ORGANISATION TCHADIENNE ANTI-CORRUPTION (OTAC)
Organized Crime and Corruption Reporting Project
Oxfam America
PAX
Peace Point Development Foundation (PPDF, Nigeria)
Plateforme de Protection des Lanceurs d’Alerte en Afrique (PPLAAF)
PowerShift e.V.
Public Eye
Publiez Ce Que Vous Payez – Gabon
Publish What You Pay – United States
Publish What You Pay – Madagascar
Radio Workshop
Resarch and Support Center for Development Alternatives – Indian Ocean (RSCDA-IO)
Réseau des défenseurs des droits humains de Lomami (RDDH-LOMAMI)
Resource Matters
Rights and Accountability in Development (RAID)
Save Lamu
Save My World
Secteur Media
Sherpa
Solsoc
SOMO
Synergie de la Société Civile pour la promotion des Droits Humains et de l’Environnement (SYDHE)
The Carter Center
The Future We Need
The Oakland Institute
The Sentry
Transparency International
Transparency International Initiative Madagascar
UGANDA CONSORTIUM ON CORPORATE ACCOUNTABILITY
UNISHKA Research Service
Wacam
Women Working Worldwide
Youth For Green Communities (YGC)