Adoption des lois “lanceurs d’alerte” : analyse synthétique

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Cette note a pour objectif de présenter les nouvelles dispositions issues de la proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte et de la proposition de loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte, telles qu’adoptées le 8 février 2022 par l’Assemblée nationale suite à l’accord trouvé en commission mixte paritaire.
Pour rappel, le Défenseur des droits étant une autorité constitutionnelle, seule une loi organique pouvait modifier ses attributions, d’où l’existence de deux propositions de loi distinctes bien qu’il s’agisse de problématiques liées.
La proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte entrera en vigueur le premier jour du sixième mois suivant sa promulgation1 (art. 12 de la proposition de loi2).
En revanche, la proposition de loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte ne pourra, en raison de son caractère organique, être promulguée qu’après que le Conseil constitutionnel se soit prononcé sur sa conformité à la Constitution (art. 46 al. 5 de la Constitution).
La proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte redéfinit la notion de lanceur d’alerte (1) ainsi que la procédure à suivre pour effectuer un signalement (2), et renforce par différents mécanismes la protection du lanceur d’alerte ainsi que des tiers en lien avec ce dernier (3).
La proposition de loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits lui confère de nouvelles attributions et, indirectement, de nouveaux moyens (4).
En dépit de ces avancées, qui dotent la France d’une législation parmi les plus protectrices au monde, une marge de progression continue d’exister en raison de certaines insuffisances de ces textes (5).

1. Définition du lanceur d’alerte

L’article 1er de la proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte réécrit l’article 6 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (ci-après « loi Sapin 2 »), qui définissait le lanceur d’alerte et précisait quels éléments demeurent exclus du régime de l’alerte, car couverts par certains types de secret.

Au regard de l’ancienne rédaction, plusieurs avancées sont à relever dans le texte issu de la proposition de loi, qui :

  • Remplace le critère ambigu du désintéressement par l’exigence que l’alerte soit lancée « sans contrepartie financière directe ». La jurisprudence avait pu considérer, sous l’empire de l’ancienne rédaction, qu’une personne en litige prud’homal avec son employeur à raison de son licenciement n’agissait pas de manière désintéressée et ne pouvait donc se voir reconnaître le statut de lanceur d’alerte, ce qui limitait considérablement l’efficacité du dispositif.
  • Élargit le champ de l’objet du signalement, avec une rédaction assouplie sur plusieurs points :
    • Le lanceur d’alerte peut dénoncer, outre les faits eux-mêmes, « des informations » portant sur ceux-ci.
    • Les faits dénoncés peuvent consister en « une menace ou un préjudice pour l’intérêt général », tandis que l’ancienne rédaction exigeait « une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général ». La notion de gravité, nécessairement subjective et exposant donc le lanceur d’alerte à une forme d’insécurité juridique, a ainsi disparu.
    • Les faits dénoncés peuvent consister en « une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation » de la loi ou du règlement, d’engagements internationaux de la France ou encore du droit européen, tandis que l’ancienne rédaction ne permettait de dénoncer qu’une « violation grave et manifeste » de ces éléments. Il s’ensuit que d’une part, la condition tenant à la gravité et au caractère manifeste de la violation disparaît, tandis que d’autre part, il est désormais possible de dénoncer, outre une violation, la tentative de dissimulation d’une violation des normes visées par le texte.
  • Limite l’exigence de connaissance personnelle des faits dénoncés par le lanceur d’alerte. Sous l’ancienne rédaction, le lanceur d’alerte devait systématiquement avoir eu personnellement connaissance des faits dénoncés. Désormais, cette condition ne s’applique que lorsque le lanceur d’alerte a appris les faits dénoncés en dehors de son activité professionnelle. Autrement dit, si c’est dans le cadre de son travail que le lanceur d’alerte a eu connaissance des faits qu’il dénonce, ces faits peuvent lui avoir été rapportés par un tiers, sans qu’il ne soit nécessaire qu’il les ait personnellement constatés.

En revanche, le texte issu de la proposition de loi comprend une régression notable s’agissant des faits exclus du régime de l’alerte en tant que faits couverts par un secret protégé par la loi.

En effet, l’ancienne rédaction excluait du régime de l’alerte les « faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support » couverts par trois types de secret :

  • le secret de la défense nationale ;
  • le secret médical ;
  • le secret des relations entre un avocat et son client.

La nouvelle rédaction consacre deux types de secret qui viennent s’ajouter à la liste ci-dessus et empêcher ainsi les faits en cause d’être qualifiés d’alerte lorsqu’ils sont couverts par l’un de ces secrets :

  • le secret des délibérations judiciaires ;
  • le secret de l’enquête3 ou de l’instruction judiciaires.

Or la directive n°2019/1937 du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union, transposée par la proposition de loi ici étudiée, comporte en son article 25 une clause de non-régression selon laquelle :

« La mise en œuvre de la présente directive ne peut, en aucun cas, constituer un motif pour réduire le niveau de protection déjà offert par les États membres dans les domaines régis par la présente directive. »

Il s’ensuit qu’en augmentant le nombre de secrets pouvant faire obstacle à la qualification d’alerte par rapport à l’état du droit antérieur, cette disposition de la proposition de loi pourrait sembler contraire à la directive.

Enfin, la nouvelle rédaction de l’article 6 de la loi Sapin 2 prévoit que le mécanisme de droit commun de l’alerte ne se substitue pas aux dispositifs spécifiques déjà existants, sauf dans l’hypothèse où les protections prévues sont plus favorables que celles de ces dispositifs spécifiques, auquel cas elles s’appliquent4.

2. Procédure de signalement

L’article 3 de la proposition de loi réécrit l’article 8 de la loi Sapin 2, qui dans son ancienne rédaction imposait une procédure de signalement en trois paliers que le lanceur d’alerte devait obligatoirement respecter sous peine d’être déchu de la protection conférée par son statut (notamment l’interdiction de représailles, cf. infra).

L’ancienne rédaction de la loi Sapin 2 prévoyait ainsi la procédure suivante :

  1. Le signalement devait d’abord être porté à la connaissance du supérieur hiérarchique du lanceur d’alerte, de son employeur ou d’un référent désigné par ce dernier5 – ce qui exposait le lanceur d’alerte à un risque de représailles.
  2. En l’absence de diligences de la part du destinataire du signalement pour en vérifier la recevabilité « dans un délai raisonnable » (délai qui présentait l’inconvénient majeur de n’être pas défini), le signalement devait ensuite être adressé à l’autorité judiciaire ou administrative, ou à l’ordre professionnel concerné.
  3. Ce n’est qu’en dernier ressort, à défaut de traitement sous trois mois par les organismes mentionnés ci-dessus, que le signalement pouvait être rendu public. Par exception, le signalement pouvait être directement adressé aux structures mentionnées au palier n°2 ou être rendu public, en cas de danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles.

La nouvelle rédaction comprend deux avancées majeures.

D’une part, le premier palier, correspondant au signalement auprès du supérieur hiérarchique, n’est plus impératif, de sorte que le lanceur d’alerte peut directement adresser son signalement à l’autorité administrative6 ou judiciaire compétente : il a ainsi le choix entre les anciens « palier n°1 » et « palier n°2 »7, sans avoir à respecter de conditions particulières pour ce faire.

Par ailleurs, dans le cas du premier comme du second palier, le texte prévoit que l’employeur ou l’autorité destinataire du signalement ont l’obligation de faire un retour au lanceur d’alerte sur son signalement8.

D’autre part, les conditions permettant de rendre public le signalement (« palier n°3 ») ont été assouplies.

Le texte conserve le cas de figure dans lequel une autorité administrative ou judiciaire a reçu le signalement (palier n°2) mais n’a pas émis de retour sous un certain délai, qui sera défini dans un décret en Conseil d’État.

En sus de cette hypothèse, le signalement peut être directement rendu public dans les cas suivants9 :

  • La saisine de l’autorité judiciaire ou administrative exposerait l’auteur du signalement à un risque de représailles, ou aurait pour conséquence que le signalement ne serait pas correctement traité en raison des circonstances de l’affaire, notamment si des preuves risquent d’être détruites ou si l’autorité peut sembler en conflit d’intérêts (par exemple, un signalement adressé au procureur de la République d’un tribunal qui mettrait précisément en cause ce procureur) ;
  • En cas de danger grave et imminent, uniquement pour les alertes hors du cadre professionnel ;
  • En cas de danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général, notamment lorsqu’il existe une situation d’urgence ou un risque de préjudice irréversible, pour les alertes issues du cadre professionnel (qui concernent des informations obtenues par le lanceur d’alerte dans le cadre de son activité professionnelle).

3. Protection du lanceur d’alerte et des tiers qui lui sont liés

L’article 5 de la proposition de loi introduit dans la loi Sapin 2 un nouvel article 10-1, consacrant plusieurs formes de protection pour le lanceur d’alerte.

L’ensemble de ces mesures de protection est également applicable à certains tiers, définis par la proposition de loi, qui accompagnent le lanceur d’alerte dans sa démarche.

Ces tiers sont :

  • Les facilitateurs, définis comme toute personne physique ou morale de droit privé à but non lucratif qui aide un lanceur d’alerte à effectuer un signalement ou une divulgation dans le respect de la procédure prévue par la loi (comme par exemple une association dont l’objet social est d’aider les lanceurs d’alerte) ;
  • Les personnes physiques en lien avec un lanceur d’alerte risquant de faire l’objet de mesures de représailles de la part de leurs employeur, clients ou destinataires de leurs services (par exemple, les collègues proches du lanceur d’alerte) ;
  • Les entités juridiques contrôlées par un lanceur d’alerte, pour lesquelles il travaille ou avec lesquelles il est en lien dans un contexte professionnel (par exemple, la structure d’exercice d’un lanceur d’alerte exerçant une profession libérale).

La proposition de loi précise par ailleurs qu’un lanceur d’alerte ayant effectué son signalement de manière anonyme, mais dont l’identité est par la suite révélée, bénéficie également de l’ensemble des mesures de protection prévues par le texte.

Les mesures de protection prévues par la proposition de loi sont :

  • L’interdiction des représailles à l’encontre du lanceur d’alerte. Ce principe, déjà prévu dans la loi Sapin 2, est réaffirmé dans la proposition de loi, tandis que la liste des mesures de représailles interdites est enrichie de nouveaux comportements prohibés, tels que par exemple les atteintes à la réputation du lanceur d’alerte ou d’un tiers protégé, y compris sur Internet, ou encore l’annulation d’une licence ou d’un permis. En outre, l’article 225-1 du code pénal, qui liste l’ensemble des critères de discrimination prohibés par la loi, est modifié de manière à désormais interdire les actes de discrimination à l’encontre du lanceur d’alerte ou des tiers qui lui sont liés (facilitateurs, etc., cf. supra).
  • L’irresponsabilité civile et pénale du lanceur d’alerte concernant la divulgation du signalement. Pour bénéficier de l’irresponsabilité civile ou pénale concernant la divulgation du signalement, le lanceur d’alerte doit s’astreindre à une forme de proportionnalité. Ainsi, s’agissant de l’irresponsabilité civile, il doit éviter de divulguer « plus que nécessaire », pour ne pas être tenu responsable des dommages causés par cette divulgation : «  Les personnes ayant signalé ou divulgué publiquement des informations [en suivant la procédure prévue par la loi] ne sont pas civilement responsables des dommages causés du fait de leur signalement ou de leur divulgation publique dès lors qu’elles avaient des motifs raisonnables de croire, lorsqu’elles y ont procédé, que le signalement ou la divulgation publique de l’intégralité de ces informations était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause ». De même, l’irresponsabilité pénale est acquise s’agissant de la divulgation du signalement, dès lors que cette dernière a été effectuée conformément à la procédure prévue par la loi, et qu’elle est « nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause ».
  • L’irresponsabilité pénale du lanceur d’alerte concernant l’obtention licite de preuves. Si l’irresponsabilité pénale du lanceur d’alerte ne pose pas de difficulté s’agissant de la divulgation du signalement, il en allait autrement, avant la proposition de loi, concernant l’obtention des preuves nécessaires pour étayer le signalement. En effet, plusieurs lanceurs d’alerte ont été poursuivis sur la base d’infractions commises pour récupérer ou conserver les supports contenant les preuves du signalement, comme par exemple l’infraction de vol de documents. Désormais, n’est pas pénalement responsable le lanceur d’alerte ou son complice10 « qui soustrait, détourne ou recèle des documents ou tout autre support contenant les informations dont il a eu connaissance de manière licite », et qu’il divulgue en conformité avec la procédure prévue par la loi.
  • Le mécanisme d’aménagement de la charge de la preuve en cas de contentieux lié à une mesure de représailles. En principe, dans tout procès, la charge de la preuve pèse sur la personne à l’origine des demandes en cause. Au regard du rapport de force déséquilibré entre les lanceurs d’alerte et leurs adversaires (souvent leur employeur ou ex-employeur), il semblait nécessaire d’aménager ce principe afin que l’interdiction des mesures de représailles contre les lanceurs d’alerte puisse être effective. La proposition de loi contient donc un mécanisme d’aménagement de la charge de la preuve, qui existait déjà dans la loi Sapin 2 pour les salariés du secteur privé et les agents publics, mais qui se trouve ici généralisé à l’ensemble des lanceurs d’alerte. Dans le cadre d’un procès initié par une personne se disant lanceur d’alerte et cherchant à contester une mesure de représailles (comme par exemple une mise à pied ou un licenciement) et la partie adverse, il est ainsi prévu que : « dès lors que le demandeur présente des éléments de fait qui permettent de supposer qu’il a signalé ou divulgué des informations [en conformité avec la procédure prévue par la loi], il incombe à la partie défenderesse de prouver que sa décision est dûment justifiée. »
  • Le mécanisme de la provision pour frais de justice ou pour subsides. Afin de limiter l’impact financier des procédures judiciaires dans lesquelles le lanceur d’alerte se trouve souvent impliqué, la proposition de loi introduit la possibilité pour celui-ci d’obtenir, dans le cadre d’un procès, une provision pour frais de justice ou même, si sa situation économique s’est gravement dégradée en raison de son alerte, une provision pour subsides11. Cette somme est versée par la partie adverse, et le juge peut décider qu’elle restera définitivement acquise au lanceur d’alerte, même s’il perd son procès. Cette demande de provision peut être formulée :
    > en cas de recours contre une mesure de représailles ;
    > ou au cours de toute instance civile ou pénale engagée contre la personne se disant lanceur d’alerte (ce qui vise en réalité le cas des procédures-bâillon).
  • Le mécanisme d’aménagement de la charge de la preuve (cf. supra) est également applicable à cette demande de provision : pour la formuler, il suffit que la personne se disant lanceur d’alerte présente des éléments de fait qui permettent de supposer (i) qu’elle a lancé une alerte en conformité avec la procédure prévue par la loi et (ii) que la procédure engagée contre elle vise à entraver son signalement12. Le juge statue à bref délai, de sorte qu’une décision sur la demande de provision peut être obtenue en quelques mois, voire semaines13.
  • La sanction des procédures-bâillon. La proposition de loi modifie l’article 13 de la loi Sapin 2, qui visait à réprimer les procédures-bâillon. Le fait de « faire obstacle, de quelque façon que ce soit, à la transmission d’un signalement » continue d’être puni d’un an d’emprisonnement et de 15.000 euros d’amende. En revanche, le montant de l’amende civile14 qui peut, sous certaines conditions, être prononcée à l’encontre d’une personne agissant contre un lanceur d’alerte pour le faire taire est doublé, et passe ainsi de 30.000 à 60.000 euros, tandis que d’un point de vue procédural, les conditions dans lesquelles cette amende civile peut être prononcée sont élargies.

4. Rôle du Défenseur des droits

La proposition de loi organique visant à renforcer le rôle du Défenseur des droits en matière de signalement d’alerte, adoptée le 8 février 2022 à l’Assemblée nationale concomitamment à la proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, prévoit de nouvelles missions attribuées au Défenseur des droits.

Afin de permettre à l’institution de les remplir, un nouveau poste d’adjoint chargé de l’accompagnement des lanceurs d’alerte est créé.

En raison de limites constitutionnelles15, l’accord trouvé en commission mixte paritaire prévoyait que cet adjoint exercerait ses missions à titre bénévole. Cependant, à la suite d’un amendement déposé par le gouvernement, la version du texte finalement adoptée par l’Assemblée nationale le 8 février ne comporte plus cette restriction.

La principale nouveauté de la proposition de loi organique consiste en la possibilité, pour toute personne, de saisir le Défenseur des droits pour que celui-ci rende, dans un délai de six mois à compter de la réception de la demande, un avis sur sa qualité de lanceur d’alerte au regard des conditions fixées par la loi. C’est dire que le Défenseur des droits va pouvoir « certifier » que le signalement est bien une alerte et que la personne a bien respecté la procédure prévue par la loi. En cas de contentieux à la suite de l’alerte (mesure de représailles, procédure-bâillon), le lanceur d’alerte pourra se prévaloir de l’avis du Défenseur des droits pour consolider sa défense.

Le Défenseur des droits poursuit sa mission d’orientation des signalements vers les autorités compétentes. Toutefois, une nouveauté de la proposition de loi organique consiste à imposer un délai au Défenseur des droits s’agissant des signalements relevant de sa compétence. Pour ces derniers, l’institution devra fournir un retour d’informations à l’auteur du signalement sous un certain délai, qui sera défini par un décret en Conseil d’État.

Enfin, la proposition de loi organique prévoit que le Défenseur des droits publiera tous les deux ans un rapport, présenté au Président de la République, au Président de l’Assemblée nationale et au Président du Sénat, sur le fonctionnement global de la protection des lanceurs d’alerte.

5. Insuffisances persistantes

D’une part, comme indiqué supra, malgré l’élargissement global de la définition du lanceur d’alerte, une régression est intervenue s’agissant de l’exclusion du périmètre de l’alerte de faits couverts par certains types de secret, c’est-à-dire les faits couverts par le secret des délibérations judiciaires et le secret de l’enquête et de l’instruction judiciaires.

D’autre part, en raison des limites constitutionnelles évoquées supra relatives à l’impossibilité, pour une proposition de loi, de comporter des dispositions grevant le budget de l’État, ce nouveau texte n’apporte à la protection des lanceurs d’alerte que des moyens limités. L’absence de fonds financier spécialement dédié à la protection des lanceurs d’alerte, sur le modèle du Fonds de garantie des victimes d’infractions, est notamment à déplorer.

Enfin, bien que l’inclusion des personnes morales de droit privé parmi les facilitateurs bénéficiant de la protection conférée au lanceur d’alerte soit une avancée, il est regrettable que le dispositif ne leur apporte pas de véritable protection des sources, à l’instar de celle existante pour les journalistes16. Une telle protection aurait eu le mérite de permettre aux associations de relayer des alertes à la place et à la demande de lanceurs d’alerte souhaitant rester anonymes pour leur propre protection.

ANNEXE – PROTECTION DES PERSONNES MORALES FACILITATRICES

La proposition de loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte ne contient pas de dispositions spécifiques concernant les personnes morales, à l’exception de son article 2, qui définit les facilitateurs comme pouvant notamment être des personnes morales de droit privé à but non lucratif.

En application de cet article, les protections applicables aux lanceurs d’alerte s’appliquent également aux personnes morales facilitatrices.

Bien que la majorité des mesures de protection concerne uniquement les personnes physiques (comme par exemple l’interdiction de mise à pied ou de licenciement), certaines dispositions apportent également des garanties substantielles pour les personnes morales, telles que :

  • L’irresponsabilité civile et pénale face à d’éventuelles poursuites en lien avec la divulgation d’une alerte : Au civil, une personne morale facilitatrice qui divulgue une alerte ne pourra pas être tenue responsable des dommages causés par la divulgation, à condition de démontrer qu’elle avait des motifs raisonnables de croire, au moment où elle a divulgué le signalement, que l’intégralité des informations divulguées était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause. Avant la proposition de loi, une entreprise dont les produits sont mis en cause à travers une alerte pouvait par exemple exiger des dommages-intérêts – sur le fondement du dénigrement – de la part d’une personne morale ayant relayé l’alerte en question. Au pénal, suivant la même logique, une personne morale facilitatrice ne pourra pas être poursuivie pour atteinte à un secret protégé par la loi, sauf pour ce qui concerne les secrets exclus du périmètre de la loi, comme le secret avocat-client par exemple. En outre, le champ de l’irresponsabilité pénale a été étendu par la proposition de loi : désormais, le lanceur d’alerte ne peut pas être poursuivi pour l’obtention des documents prouvant les faits objets de l’alerte, à condition qu’il ait obtenu ces documents de manière licite. Or la proposition de loi précise que cette irresponsabilité concernant l’obtention des preuves s’étend au complice des éventuelles infractions concernées, de sorte qu’une personne morale facilitatrice ne pourra pas non plus être poursuivie en tant que complice du lanceur d’alerte dans un tel cas de figure.
  • La provision pour frais de justice en cas de procédure-bâillon, avec aménagement de la charge de la preuve : Pour rappel, la proposition de loi introduit la possibilité non seulement pour le lanceur d’alerte mais aussi pour les personnes morales facilitatrices d’obtenir, dans le cadre d’un procès, une provision pour frais de justice17. Cette somme est versée par la partie adverse, et le juge peut décider qu’elle restera définitivement acquise même si la personne morale facilitatrice perd son procès. Cette demande de provision peut notamment être formulée au cours de toute instance civile ou pénale18 engagée contre le lanceur d’alerte ou les tiers lui étant liés, ce incluant les personnes morales facilitatrices19.
      Le mécanisme d’aménagement de la charge de la preuve (cf. supra) est également applicable à cette demande de provision : pour la formuler, il suffit que la personne morale facilitatrice présente des éléments de fait qui permettent de supposer (i) qu’elle a divulgué un signalement en conformité avec la procédure prévue par la loi et (ii) que la procédure engagée contre elle vise à entraver cette divulgation. Le juge statue à bref délai, de sorte qu’une décision sur la demande de provision peut être obtenue en quelques mois, voire semaines.
    • L’interdiction de la mesure de représailles que serait la résiliation anticipée ou l’annulation d’un contrat pour des biens et des services : Cette mesure, qui fait partie des mesures de représailles interdites, pourrait tout à fait toucher une personne morale facilitatrice. Il s’agit dès lors d’une garantie intéressante de protection pour ces dernières.

    1. Après son adoption par le Parlement, une loi est transmise au gouvernement et le président de la République dispose alors de 15 jours pour la promulguer. Toutefois, ce délai est suspendu en cas de saisine du Conseil Constitutionnel. Ce dernier peut être saisi par 60 députés ou sénateurs, afin de se prononcer sur la constitutionnalité de certaines dispositions.

    2. Cet article avait été adopté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat et ne figure donc pas dans la version du texte issue de l’accord trouvé en commission mixte paritaire, qui ne porte que sur les dispositions qui restaient en discussion (art. 45 al. 2 de la Constitution).

    3. À titre d’exemple, dans le cadre de l’affaire Geneviève Legay, qui concernait une manifestante septuagénaire blessée par la police dans le cadre de manifestations des Gilets Jaunes à Nice, le policier qui avait signalé les dysfonctionnements dans l’enquête ayant suivi les faits a été poursuivi du chef de violation du secret professionnel et recel, or le secret professionnel dont il était question n’était autre que le secret de l’enquête.

    4. À l’exception de la procédure spécifique de signalement concernant des faits couverts par le secret de la défense nationale, expressément exclue de cette disposition.

    5. À noter que ce premier palier ne concerne donc pas les alertes hors du champ professionnel.

    6. Le texte prévoit qu’un décret en Conseil d’État dressera la liste des autorités administratives compétentes pour traiter les signalements.

    7. S’agissant du « palier n°2 », il est à relever que la nouvelle rédaction ne fait plus mention de la possibilité d’adresser un signalement à l’ordre professionnel concerné par l’alerte.

    8. Seul le principe d’un tel retour d’informations est posé, le texte prévoyant que le délai et les modalités de ce retour seront définis par un décret en Conseil d’État.

    9. Sauf lorsque la divulgation publique « porte atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationales ».

    10. Cette disposition présente un grand intérêt pour les associations, qui pour rappel, sont susceptibles en tant que personnes morales de droit privé d’être considérées comme des facilitateurs et de bénéficier à ce titre de l’ensemble des protections détaillées dans cette section.

    11. C’est-à-dire une somme d’argent pour subvenir à ses besoins, au-delà des frais liés à son procès.

    12. Ce deuxième critère n’est pas exigé lorsque le lanceur d’alerte est demandeur à l’action, dans le cadre d’un recours contre une mesure de représailles.

    13. À titre de comparaison, les délais pour obtenir une décision au fond (c’est-à-dire qui tranche le litige lui-même) varient selon les juridictions et le type de litige mais sont rarement en-dessous d’un an.

    14. Une amende civile est une condamnation à verser une somme d’argent au Trésor public, prononcée par un juge à l’encontre d’une partie qui agit de manière dilatoire ou abusive. Il s’agit de réprimer l’abus du droit d’agir en justice.

    15. L’article 40 de la Constitution rend irrecevable les propositions et amendements formulés par les membres du Parlement « lorsque leur adoption aurait pour conséquence soit une diminution des ressources publiques, soit la création ou l’aggravation d’une charge publique ». Les deux propositions de loi dont traite cette note ne pouvaient donc contenir de dispositions grevant le budget de l’État, sauf à ce que la disposition en cause résulte d’un amendement présenté non par un parlementaire mais par le gouvernement.

    16. L’article 2, al. 3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse pose un principe interdisant, de manière générale, toute obligation pour le journaliste de révéler ses sources.

    17. Cette provision peut également être une provision pour subsides, à condition que la personne physique ou morale à l’origine de cette demande démontre que sa situation financière s’est gravement dégradée depuis le signalement ou de la divulgation publique.

    18. La rédaction du texte visant en réalité les procédures-bâillon.

    19. En effet, tel qu’il est rédigé, l’article qui prévoit ce mécanisme n’est pas restreint au lanceur d’alerte, de sorte qu’une personne morale facilitatrice pourrait bénéficier de cette protection :

    Au cours d’une instance civile ou pénale, lorsque le défendeur ou le prévenu présente des éléments de fait qui permettent de supposer qu’il a signalé ou divulgué publiquement des informations dans les conditions prévues aux articles 6 et 8 et que la procédure engagée contre lui vise à entraver son signalement ou sa divulgation publique, il peut demander au juge de lui allouer, à la charge du demandeur ou de la partie civile, une provision pour frais de l’instance en fonction de la situation économique respective des parties et du coût prévisible de la procédure ou, lorsque sa situation financière s’est gravement dégradée en raison du signalement ou de la divulgation publique, une provision visant à couvrir ses subsides.”