Qui a dit qu’il y avait un âge pour s’intéresser à la question des lanceurs d’alerte ? Certainement pas David Fumex, dont les élèves de première du lycée Henri Poincaré de Nancy ont investigué le sujet et sont allés à la rencontre du lanceur d’alerte Antoine Deltour. Nous avons échangé avec ce professeur d’Histoire Géographie autour du projet pédagogique derrière cette initiative, des enjeux de sensibilisation dès le secondaire et de l’impact qu’a eu ce projet sur ces élèves.
Comment vous est venue l’idée de travailler sur la question des lanceurs d’alerte ?
DF : Avec mes collègues, nous étions à la recherche d’un prolongement dans le cadre de la spécialité de 1ère et Terminale « histoire géographie, géopolitique et science politique » dont l’un des thèmes est « s’informer ». L’idée était de partir de l’analyse des nouvelles méthodes d’information de nos jours. Tout le monde peut désormais être émetteur et récepteur d’information. Dans l’un des chapitres du programme enseigné en 1ère dans cette spécialité, on aborde la question des lanceurs d’alerte. J’avais pris l’initiative de proposer à mes élèves de réaliser des exposés sur des lanceurs d’alerte.
Avec ma collègue Kathleen Turner, nous avions décidé de réunir les deux classes pour proposer aux plus volontaires de préparer un dossier approfondi pour rendre compte de la venue d’Antoine Deltour pour nous parler de son affaire. Une dizaine d’élèves se sont manifestés pour le réaliser.
Pourquoi avoir choisi de solliciter Antoine Deltour pour parler de son alerte ?
DF : Le but était de créer une proximité avec le lanceur d’alerte. Les élèves au courant de l’existence des lanceurs d’alerte en ont généralement une vision assez hollywoodienne. Or ces personnes ne perçoivent jamais leur geste comme quelque chose d’héroïque. Elles ont surtout une conscience morale qui les pousse à lancer l’alerte.
Rencontrer un lanceur d’alerte et entendre un récit chronologique qui illustrait les différentes étapes de son signalement a permis de mettre en lumière le fait qu’on ne se lève pas un matin en se disant « je suis un lanceur d’alerte ».
J’avais entendu parler d’Antoine Deltour parce qu’il était intervenu au sein de l’établissement dans lequel je travaillais auparavant, avant d’enseigner au lycée H.Poincarré à Nancy. Il me paraissait évident de lui donner l’occasion de présenter son parcours au sein du lycée dans lequel il avait lui même réalisé une partie de ses études. Inviter Antoine Deltour a permis d’incarner la démarche d’alerte, de montrer que c’est accessible, que des gens qui prennent position pour dire non (en se mettant d’ailleurs en danger) existent réellement. Cela nous a même initiés au tax ruling ! (ndlr : il s’agit d’une pratique légale qui permet aux entreprises de demander d’avance à une administration fiscale, comment sa situation sera traitée au regard d’une opération donnée, afin d’obtenir certaines garanties juridiques.)
illustration réalisée par G.LEROUX, élève de 1ère du lycée Poincarré
Que diriez-vous de la nécessité de sensibiliser les plus jeunes à travers le sujet des lanceurs d’alerte ? Avez-vous senti un avant/après ?
DF : Ils en ont, je pense, aujourd’hui une meilleure approche. Plus familière et plus réaliste. Certains jeunes avaient une vague idée idéalisée du lanceur d’alerte issue des films grands publics. Ils réalisent que les lanceurs d’alerte sont des citoyens tout à fait lambda qui révèlent les dysfonctionnements qu’ils constatent au quotidien.
Ils ont notamment été marqués par des choses assez simples. Le fait que cela concerne quelqu’un passé par leur propre lycée, la descente de police chez lui, suite à une commission rogatoire demandée par la justice luxembourgeoise, alors qu’il n’avait rien fait de mal . Antoine Deltour a pu retomber sur ses pieds tout en gardant une vie presque normale mais ce n’est pas le cas de tous les lanceurs d’alerte sur lesquels ils ont pu travailler. Cela a permis une véritable prise de conscience sur la question de l’information. Ce volet les a particulièrement marqué et je remarque qu’ils portent, depuis, une attention plus vive aux informations qu’ils reçoivent.
Dans une société où les canaux d’informations sont désormais nombreux et où toutes sortes d’informations leurs sont accessibles, voir qu’ils font un pas de côté pour les analyser est déjà une formidable victoire. Cet exercice est d’ailleurs stimulant pour moi aussi. D’abord pour l’enseignant qui a tenté de rendre compréhensible un processus financier volontairement complexe.
Le citoyen que je suis, lui, s’est davantage questionné sur la complexité de ce système qui dysfonctionne et sur la nécessité d’instaurer des contrôles car c’est souvent leur opacité qui est vectrice de corruption. C’est presque de l’enseignement civique et moral pour eux comme pour nous citoyens et enseignants !