
Mauvaise gestion des eaux usées dans la Durance, risques de pollution environnementale, exposition des salarié·es à des substances toxiques sans protection, surfacturations et doubles facturations : les révélations d’Hervé, lanceur d’alerte, mettent en lumière une série d’atteintes graves à l’intérêt général commises par Veolia, affectant particulièrement les habitants de la Communauté des Communes de Serre-Ponçons (CCSP). Derrière ces pratiques, qualifiables notamment d’escroquerie selon le Code pénal, se cache le détournement d’une mission de service public à des fins financières, aux dépens de l’argent public et des usagers de la CCSP, au profit de Veolia. Retour sur le combat d’Hervé, ancien salarié de Veolia, licencié pour avoir alerté sur ces pratiques frauduleuses. |
Le 19 janvier 2023, Hervé1, travaillant dans le domaine de l’assainissement de l’eau chez Veolia depuis un peu plus de deux ans, est placé en arrêt maladie. Ses conditions de travail, marquées par une exposition constante à des polluants chimiques et biologiques, ont eu raison de sa santé. Quelques jours plus tard, le 30 janvier, le verdict tombe : inapte à son poste. Cette décision médicale n’est cependant que le point culminant d’une réalité bien plus sombre.
Depuis son arrivée dans le service de Veolia chargé de la gestion des eaux usées de la Durance près de Gap, Hervé été témoin de dysfonctionnements graves au sein des différentes stations d’épuration situées le long de la rivière Durance, notamment celles d’Embrun et des Orres.
Veolia, multinationale spécialisée dans les services de gestion du cycle de l’eau, intervient comme délégataire de services publics dans de nombreux territoires en France, dont la CCSP, où travaillait Hervé. Or, celui-ci a constaté que le fonctionnement des stations d’épuration de la CCSP n’était pas en conformité avec les règlementations en vigueur relatives au traitement des eaux usées. Par exemple, la machine de traitement des graisses de la station d’Embrun et des Orres était hors service depuis environ 4 ans, sans que Veolia n’en ait informé ni la police de l’eau ni la CCSP. À terme, ces négligences pourraient s’avérer dangereuses, non seulement pour l’environnement, mais aussi pour la santé des usagers de la CCSP.
En outre, Veolia a surfacturé certains des équipements des stations à la CCSP, se faisant ainsi une marge injustifiée au détriment des finances publiques et des habitants, qui paient une redevance pour ces services. Ces pratiques peuvent être qualifiées d’escroquerie selon l’article 313-1 du Code pénal, la présentation de fausses factures étant considérée comme une manœuvre frauduleuse. Ainsi, les faits dénoncés par Hervé constituent un préjudice avéré pour l’intérêt général.
Mais ces abus ne s’arrêtaient pas là. En plus de ses manquements aux règlementations sur le traitement des eaux usées et de ses pratiques frauduleuses en matière de gestion financière, Veolia délaissait également ses obligations en matière de sécurité et de protection de la santé physique et mentale de ses salarié·es. Les équipes encadrées par Hervé se trouvaient ainsi régulièrement exposées à des substances chimiques toxiques. La cause ? Des manquements résultant tantôt « d’oublis » dans la commande d’équipements de protection individuelle, tels que des gants, tantôt des dysfonctionnements dans la manutention des stations. Il ne s’agissait pas seulement de négligences, mais d’un désengagement avéré : la hiérarchie d’Hervé avait même envisagé de couper le système de désodorisation la nuit, pour des raisons essentiellement économiques. Pourtant, ce système, conçu pour filtrer les gaz nocifs issus des eaux usées, joue un rôle crucial dans la protection des travailleurs. Comme si cela ne suffisait pas, le sous-effectif imposait aux salariés de longues périodes d’astreinte, augmentant considérablement les risques d’épuisement et rendant chaque dysfonctionnement encore plus dangereux.
Fidèle à ses convictions, Hervé ne se contente pas de voir, il parle. Il alerte. D’abord ses responsables hiérarchiques directs, puis les entités compétentes de Veolia. En vain. Rien ne change. Il frappe alors à la porte de l’ANSES, espérant être entendu. Il finira par être licencié.
- Le prénom a été changé pour préserver l’anonymat du lanceur d’alerte. ↩︎
[À consulter aussi] Dissimulation de pollution, mise en danger des salariés : un lanceur d’alerte dénonce le « système Veolia »
Une enquête de Pierre Isnard-Dupuy (Mediapart) et Simon Becquet (Ram05)

© Photo Simon Becquet / ram05
Un ancien responsable d’équipe d’assainissement dans les Hautes-Alpes alerte sur des dysfonctionnements non déclarés par la multinationale. Notamment un rejet important de chlorure ferrique dans la Durance. Cette substance très acide peut être responsable de la destruction de la faune et de la flore aquatiques.
Par courrier en date du 12 mars 2025, la société Veolia a manifesté le souhait d’exercer son droit de réponse à la suite de la publication de l’article « [PARTIE 1] Délégation de service public : Veolia mêle pollution et abus financiers dans la gestion des eaux usées de la Durance ». Pour répondre à cette demande, la Maison des Lanceurs d’Alerte publie ci-après le droit de réponse tel que demandé par la société Veolia : « DROIT DE RÉPONSE DE VEOLIA Veolia entend répondre à l’article intitulé « [PARTIE 1] Délégation de service public : Veolia mêle pollution et abus financiers dans la gestion des eaux usées de la Durance » et « [PARTIE 2] Délégation de service public : Veolia mêle pollution et abus financiers dans la gestion des eaux usées de la Durance » reprenant les allégations d’un ancien salarié du groupe. Nous avons également communiqué un droit de réponse à l’article de Ram05 intitulé « Veolia Odalp : pratiques opaques en eaux troubles dans l’Embrunais », que vous citez. A titre liminaire, Veolia souhaite rappeler que la reconnaissance du statut de lanceur d’alerte de son ancien salarié par le Conseil des Prud’Hommes n’emporte aucunement confirmation de l’exactitude des allégations soutenues par ce dernier. Dans ce dossier, toutes les procédures relatives à l’alerte interne ont été respectées. Il convient de noter que le salarié concerné a fait le choix de ne pas poursuivre la démarche en interne, malgré les dispositifs mis à sa disposition. Veolia rejette d’ailleurs pleinement ces allégations et entend les corriger car elles ne reposent que sur les dires de cet ancien salarié et des approximations. La Maison des Lanceurs d’alerte n’a pas, à notre connaissance, pris contact avec Veolia pour vérifier ces informations. Nous notons avec consternation que la Maison des Lanceurs d’alerte impute publiquement à Veolia la commission d’infractions pénales, sans éléments pour le démontrer. A cet égard, Veolia ne manquera pas de faire valoir ses droits devant les juridictions compétentes, le cas échéant. En tout état de cause et tout d’abord, la sécurité des employés constitue une priorité pour Veolia. Sur le site de l’Embrunais, un audit de sécurité réalisé le 3 mars 2022, et auquel l’ancien salarié a lui-même participé, a confirmé que les règles fondamentales de sécurité étaient parfaitement respectées. En particulier, les griefs concernant le système de ventilation du site sont infondés. Au sein de la station d’épuration, la désodorisation est conforme aux normes en vigueur, comme l’atteste un compte rendu du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail réalisé à la suite d’une visite du site en 2017, qui ne porte aucune mention des dysfonctionnements évoqués. De surcroît, s’agissant du palan défectueux de la station dont l’ancien salarié se plaint du remplacement tardif, un matériel neuf a été livré en février 2022, et ce n’est que 8 mois plus tard qu’il a été installé par l’ancien salarié… Sur le prétendu sous-effectif au sein des sites de l’Embrunais, il est utile de rappeler que les installations sont conçues pour fonctionner en autonomie, notamment durant les week-end et les jours fériés. En cas d’absence prolongée d’un agent, un technicien de la Direction des opérations est affecté à la station pour renforcer l’équipe, à temps plein si nécessaire, comme ce fut le cas en 2022. Ensuite, concernant la fuite alléguée de chlorure ferrique dans le milieu naturel le 1er novembre 2022 à la suite d’un orage à la station d’Embrun, cette thèse a été contredite par l’ensemble des investigations et analyses réalisées depuis. En particulier, dès le lendemain de l’incident, le 2 novembre, la mesure du pH de l’eau a révélé une absence de pH acide en amont et en aval du rejet de la station d’épuration. Le rejet d’une grande quantité de ce produit dans la rivière aurait nécessairement eu un impact visible sur la faune, ce qui n’a nullement été constaté. Plus récemment, le 31 janvier 2025, les services de l’Etat ont procédé à une visite ayant spécifiquement pour objet d’effectuer un contrôle en lien avec les allégations de pollution suite à l’incident de novembre 22. Leur rapport fait état d’une conformité totale du site. En conséquence, ces éléments confirment que le chlorure ferrique a été confiné dans la station d’épuration et neutralisé à la chaux, comme l’a toujours indiqué Veolia. De manière générale, les non-conformités identifiées sur les sites gérés par Veolia sont portées à la connaissance des services de l’Etat lorsque la loi prévoit que de tels signalements soient effectués. Toutes ces allégations, que le salarié prétend avoir remonté lors d’une “alerte”, sont infondées et fausses. A cet égard, Veolia conteste fermement que le licenciement de son ancien salarié soit intervenu en représailles. La procédure devant statuer sur ce point est aujourd’hui en cours devant la Cour d’appel de Grenoble. Enfin, Veolia dément également les accusations fantaisistes et non étayées portant sur de prétendues irrégularités financières ou sur le fait que le contrat de délégation de service public poserait une difficulté quelconque. Veolia a fourni toutes les informations nécessaires à la collectivité et poursuit l’exécution du contrat selon les modalités prévues par celui-ci. » |