L’UGICT-CGT, organisation fondatrice de la Maison des Lanceurs d’Alerte, vient de publier son nouveau baromètre « Opinions & attentes des cadres 2024 », qui révèle des dérives alarmantes et dresse un tableau préoccupant du monde du travail en France. Dans ce contexte, les journées s’étirent, les week-ends s’effacent, et avec eux, la frontière entre vie privée et professionnelle. Les cadres, pris dans l’engrenage d’une charge de travail sans cesse croissante, naviguent entre heures supplémentaires non rémunérées et décisions stratégiques auxquelles ils et elles n’adhèrent pas.S’ajoutent à cela des pratiques managériales en déclin, des dilemmes éthiques, voire des situations de discrimination ou de racisme, devenues monnaie courante. Autant de dérives qui pourraient faire l’objet d’une alerte, mais le baromètre dévoile un système de représailles et de silence qui entrave le recours à ce droit.
Réalisé auprès de 1 000 cadres et mené en ligne par Viavoice, le baromètre de l’UGICT-CGT « Opinions & attentes des cadres 2024 » met en lumière des dérives préoccupantes dans le monde du travail. Quelques chiffres révélateurs : 80 % des cadres ont le sentiment qu’il est attendu de leur part un comportement loyal envers leur employeur, tandis que 26 % ont été témoins de faits répréhensibles ou contraires à l’intérêt général. Parmi ces derniers, 55 % n’ont pas osé lancer l’alerte, souvent freiné·es par la peur des représailles. Plus d’un cadre sur deux (52 %) se déclare régulièrement en désaccord avec les choix et pratiques de leur entreprise ou administration, une contradiction qui pèse sur leur éthique. Face à cette situation, 58 % souhaiteraient disposer d’un droit d’alerte, permettant de refuser des directives jugées contraires à leurs valeurs.
Malgré cette aspiration, les chiffres montrent que près de la moitié (48 %) des cadres ayant dénoncé des faits répréhensibles subissent des représailles, un pourcentage qui grimpe à 82 % chez les jeunes cadres de 18 à 29 ans. Ce climat de peur contribue à renforcer le silence : 39 % des cadres qui se taisent évoquent un sentiment d’impuissance, 33 % ne font pas confiance à leur employeur, et 27 % redoutent les représailles.
Ces constats font écho aux observations de la Maison des Lanceurs d’Alerte. Les lanceurs et lanceuses d’alerte que nous accompagnons témoignent régulièrement des représailles subies après avoir pris la parole. Tout commence souvent par une dégradation progressive de l’environnement de travail : isolement, marginalisation, ou surcharge de travail. Ensuite viennent les sanctions plus sévères, comme le licenciement, qui touchent une majorité d’entre elles et eux, en particulier dans le secteur privé. Ces injustices perdurent parfois pendant des mois, voire des années, rendant difficile la recherche d’un nouvel emploi dans le même secteur et plongeant ces personnes dans la précarité et l’isolement, avec des répercussions graves sur leur santé mentale.
Ce climat répressif est accentué par la méconnaissance de la loi Sapin II chez les potentiel·les lanceurs et lanceuses d’alerte, y compris chez les cadres, tant dans sa version de 2016 que dans celle de 2022. Nombreux et nombreuses sont celles et ceux qui ignorent, par exemple, que la loi Waserman a supprimé l’obligation de passer par des dispositifs internes d’alerte, souvent inefficaces ou absents. Cette loi reconnaît que les environnements professionnels ne facilitent pas toujours la prise de parole. Mais cette évolution législative, si elle est ignorée par les salarié·es et par les entreprises, l’est tout autant par les syndicats.
En effet, plusieurs lanceurs et lanceuses d’alerte accompagné·es par la Maison des Lanceurs d’Alerte expriment des préoccupations quant au soutien qu’ils auraient reçu de certains acteurs syndicaux, révélant que ces derniers ne sont pas suffisamment outillés en matière de droit d’alerte. Bien que la loi Waserman ne les désigne pas comme des autorités externes, ceux-ci peuvent néanmoins jouer un rôle crucial dans la défense des travailleurs ayant lancé une alerte.
Face à ces constats, il est primordial que les syndicats s’approprient ce cadre juridique et prennent toute leur place dans la protection des droits de leurs adhérent·es, en particulier celles et ceux qui souhaitent faire usage de leur droit d’alerte. Pour cela, plusieurs actions sont à envisager :
- Se former sur les évolutions législatives, notamment la loi Waserman ;
- Promouvoir un environnement favorable et une culture de protection des lanceurs et lanceuses d’alerte ;
- Soutenir activement les salarié·es lanceurs et lanceuses d’alerte.
Dans cette optique, la Maison des Lanceurs d’Alerte travaille à développer des outils adaptés dans le cadre du projet “Safe4Whistleblowers”, visant à renforcer les compétences des syndicats.