Lancer l’alerte – quel impact sur la santé mentale ?

Dimanche 29 septembre 2024, Mediapart a publié une enquête sur les faits ayant conduit au suicide de Nathalie Goutorbe, lanceuse d’alerte et cheffe de cabinet à la mairie de Roanne et à Roannais Agglomération. Âgée de 52 ans, elle avait consacré près de 28 ans de sa carrière à travailler aux côtés d’Yves Nicolin, maire de Roanne, d’abord en tant qu’attachée parlementaire, puis comme cheffe de cabinet depuis 2018. Fatiguée et épuisée par la dégradation de ses conditions de travail, Nathalie Goutorbe a mis fin à ses jours le 19 juin dernier dans un contexte de grande détresse. Ce drame dévoile la nécessité de briser le tabou autour de la santé mentale des lanceurs et lanceuses d’alerte, qui doivent naviguer dans un environnement où la vérité est parfois synonyme de solitude et de souffrance, rendant d’autant plus crucial le besoin d’un accompagnement psychologique adapté à leurs besoins.

Le journaliste Antton Rouget a mené une enquête pendant plusieurs semaines pour éclaircir les circonstances ayant poussé Nathalie Goutorbe à mettre fin à ses jours. Devenue lanceuse d’alerte, elle avait alerté en toute confidentialité des cas de conflits d’intérêts à la mairie de Roanne. Elle avait également confié subir des représailles et des humiliations au travail à des proches, décrivant dans une lettre posthume un « enfer » et affirmant ne plus avoir « la force de continuer » face à la possibilité d’une enquête judiciaire.

Ce drame a suscité des vives réactions à la mairie. Quatre adjoints ont signé une lettre ouverte, questionnant les circonstances de sa mort et l’ambiance délétère au sein de la mairie1. Lors d’un conseil municipal tendu le 12 septembre, ces élus ont été démis de leurs fonctions. Ils dénoncent une « chasse aux sorcières » en réponse à leur prise de position, estimant avoir été sanctionnés pour un « défaut de loyauté »2. Yves Nicolin, quant à lui, a fermement nié toute responsabilité dans la mort de Nathalie Goutorbe, précisant que l’enquête en cours ne le vise pas personnellement, mais cherche uniquement à éclaircir les causes du décès. Parallèlement, plusieurs procédures judiciaires sont en cours sur l’environnement du maire. Le parquet de Roanne conduit également deux enquêtes distinctes, l’une pour harcèlement moral et de faux, et l’autre pour détournement de fonds publics.

Ce climat de tensions et de suspicions autour de la mairie de Roanne met en lumière un enjeu plus vaste auquel sont confronté·es de nombreux lanceurs et lanceuses d’alerte : l’isolement, les pressions psychologiques et les représailles qu’ils subissent après avoir dénoncé des dysfonctionnements. À ce jour, aucune étude exhaustive ne permet de dénombrer et de rendre compte de façon exhaustive de la situation des lanceurs et lanceuses d’alerte en France. Toutefois, les signalements reçus par la MLA révèlent l’impact significatif que l’alerte a sur leur santé mentale.

Les cas observés par la MLA montrent fréquemment des situations de stagnation professionnelle ou de harcèlement moral au travail. Après un licenciement ou une démission, de nombreux lanceurs et lanceuses d’alerte rencontrent des difficultés à retrouver un emploi ou à attirer des clients, des obstacles qui ne sont pas sans conséquences. Ces épreuves professionnelles contribuent souvent à une détérioration de leur santé mentale, entraînant des symptômes de dépression, d’anxiété, ainsi que des signes de stress post-traumatique. En 2024, 17 personnes ont sollicité un soutien psychologique dès leur premier contact avec l’association, dont 2 ont exprimé des pensées suicidaires. De plus, 18 signalant·es ont rapporté une dégradation de leur état mental au fil de leurs échanges avec les juristes, souvent en lien direct avec l’alerte. Tous ceux ayant bénéficié du soutien de la psychologue bénévole de la MLA ont décrit cette aide comme essentielle, le considérant indispensable.

Ces observations sont corroborées par des études comparatives qui montrent que les lanceurs et lanceuses d’alerte présentent une prévalence bien plus élevée de troubles de santé mentale que d’autres groupes, comme les patients atteints de cancer ou les personnes en situation de handicap professionnel. Environ 85% des signalant·es souffrent d’anxiété sévère à très sévère, et présentent des signes de dépression, de sensibilité interpersonnelle, d’agoraphobie et de troubles du sommeil.3

Dans ce contexte, il est crucial de mettre en place un dispositif de soutien psychologique pour les lanceurs d’alerte en France. Le dernier rapport du Défenseur des Droits4 souligne la nécessité d’améliorer le soutien financier et psychologique qui leur est destiné, notamment par la création d’un fonds et d’un accompagnement psychologique adapté. La MLA insiste sur l’importance de ces mesures pour protéger leur bien-être physique et mental, leur permettant ainsi de défendre la vérité et la démocratie sans craindre pour leur santé mentale ou leur sécurité financière.

Vous faites face à des représailles après avoir lancé une alerte ? Vous vous sentez isolé·e et démuni·e face à des menaces et pressions ? Vous n’êtes pas seul·e. La Maison des Lanceurs d’Alerte est là pour vous accompagner et vous soutenir à chaque étape de votre parcours.

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  1. Le Pays, Le texte de la lettre ouverte, publié le 29/08/2024 ↩︎
  2. Louise Thomann, Rupture tendue au conseil municipal de Roanne entre la majorité et les élus signataires d’une lettre ouverte, France Bleu, Publié le 12/09/2024 ↩︎
  3. Mental Health Problems Among Whistleblowers: A Comparative Study. Van der Velden, Pecoraro, Houwerzijl & van der Meulen, (2019). Psychological Reports, Vol. 122(2) 632–644. ↩︎
  4. Défenseur des Droits, La protection des lanceurs d’alerte en France (Rapport bisannuel 2022-2023), Publié le 25/09/2024 ↩︎