[PARTIE 2] Délégation de service public : Veolia mêle pollution et abus financiers dans la gestion des eaux usées de la Durance

Mauvaise gestion des eaux usées dans la Durance, risques de pollution environnementale, exposition des salarié·es à des substances toxiques sans protection, surfacturations et doubles facturations : les révélations d’Hervé, lanceur d’alerte, mettent en lumière une série d’atteintes graves à l’intérêt général commises par Veolia, affectant particulièrement les habitants de la Communauté des Communes de Serre-Ponçons (CCSP). Derrière ces pratiques, qualifiables notamment d’escroquerie selon le code pénal, se cache le détournement d’une mission de service public à des fins financières, aux dépens de l’argent public et des usagers de la CCSP, au profit de Veolia.

Dans cet article, Hervé, ancien salarié de Veolia, revient sur son combat et répond à quatre de nos questions. Il est en attente du délibéré de l’audience prudhommale qui s’est tenue en novembre dernier, avec une décision attendue pour fin janvier 2025.

Tout d’abord, je tiens à expliquer les raisons qui m’ont poussées à rejoindre Veolia. Leur communication mettait en avant la bienveillance, une valeur qui me tient particulièrement à cœur. Malheureusement, j’ai constaté l’exact opposé : un management directif, voire autoritaire. La gestion de l’eau présentait aussi un grand intérêt pour moi, et j’étais très heureux de pouvoir participer, à mon niveau, à son traitement et ainsi participer à l’amélioration de l’environnement. Encore une fois, dès mon arrivée chez Veolia, j’ai constaté de nombreux dysfonctionnements ainsi qu’une mauvaise gestion des équipements, ce qui a conduit à un état de délabrement général des installations.

J’ai au début mis cela sur le compte de mon équipe, mais je me suis très vite aperçu que l’autoritarisme de l’encadrement jouait un rôle majeur dans la démotivation du personnel. Cet encadrement était par ailleurs très peu présent, ce qui nous laissait un sentiment d’isolement. De plus j’ai pu remarquer un réel désengagement au niveau de la sécurité des salariés. À titre d’exemple, j’ai été exposé directement à des produits toxiques parce qu’il n’y avait pas de gants de protection individuelle à disposition.

J’ai alerté en interne, allant jusqu’à la direction régionale, et j’ai été licencié non pas pour une faute quelconque, mais parce que j’ai voulu signaler honnêtement en interne. Cette démarche s’est finalement retournée contre moi. 

C’est pour cela que j’ai décidé de lancer l’alerte en externe et de rendre cette affaire publique.

Tout d’abord un manque d’entretien généralisé des machines qui ne fonctionnaient pas alors que nous disions le contraire à la collectivité. La notice d’exploitation n’avait jamais été suivie, ce qui a entrainé de graves dysfonctionnements, notamment dans la distribution de l’air pour l’alimentation en oxygène des biofiltres (petits cailloux sur lesquelles viennent se fixer les bactéries et qui effectuent un traitement biologique de l’eau).

Des surfacturations, notamment le remplacement d’un transformateur que Veolia a payé 35 OOO € et facturé 101 000 € à la collectivité. Qui plus est, ce transformateur n’avait pas besoin d’être remplacé car il était en excellent état.

Une machine à graisse qui n’a jamais fonctionné alors qu’elle a coûté quelques 200 000 € à la collectivité.

Double facturation. En tant que personnel d’exploitation, nous sommes facturés comme tels à la collectivité. Hors, Veolia demande à minima 15% de main-d’œuvre sur les actions de renouvellement, qui sont effectuées par le personnel d’exploitation.

Ensuite, de nombreux mensonges au service de la police de l’eau et un désengagement important concernant la sécurité des salariés.

J’ai alerté le CSE (Comité social et économiqué) et le comité d’éthique de Veolia, aucune suite.

J’ai saisi le défenseur des droits, qui a enquêté 18 mois dont 14 sur Veolia, et qui a pris une décision en ma faveur ; il a reconnu que j’étais un lanceur d’alerte au sens de la loi, et que j’avais à ce titre été victime de représailles par Veolia, notamment par le biais du licenciement, illégal.

J’ai alerté l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) qui s’est déclaré incompétente et qui m’a avoué avoir perdu mon dossier de 1,4 kg tout de même. Et ce, au bout de 9 mois… Je ne sais pas si je vais les relancer. Or, c’est la seule autorité externe référente dans la matière dans l’annexe du décret sur la protection des lanceurs d’alerte.

J’ai saisi les prud’hommes pour demander ma réintégration au sein de Veolia.

Et j’ai enfin saisi la Maison des Lanceurs d’Alerte qui a été d’un très grand soutien.

Au même titre que la Maison des Lanceurs d’Alerte et le Défenseur des Droits, j’espère que les prud’hommes reconnaîtront eux aussi mon statut de lanceur d’alerte, et que c’est bien à cause de cette raison que j’ai été licencié et non pour de prétendues fautes. J’espère ainsi que l’entreprise Veolia répondra de ses actes devant les juges.

Ces 18 mois ont été très longs et toxiques, j’espère que tout cela n’aura pas été vain. Enfin, j’espère être réintégré au sein de Veolia et pouvoir revenir par la grande porte.


Fausses déclarations aux autorités, dissimulation d’incidents d’exploitation et mise en danger des salariés : un lanceur d’alerte révèle de multiples manquements de la part de Veolia dans sa gestion des stations d’épuration de l’Embrunais. Alors que le géant de l’assainissement est en procès avec la Communauté de Communes de Serre-Ponçon pour une autre affaire, cette série de manquements offre un nouvel angle d’attaque à la collectivité pour remettre en cause le contrat de délégation de service public qui les lie jusqu’en 2039.

Une enquête réalisée en collaboration avec Mediapart, et à retrouver également en podcast :

Après plusieurs années à enchaîner les contrats en intérim, Hervé décide en 2020 de chercher un emploi fixe pour s’installer. Retenu simultanément à la SNCF et à Veolia, cet ingénieur opte pour un poste dans l’Embrunais chez le géant de l’assainissement « pour l’éthique et les valeurs qu’il prônait ». « Dès le départ j’ai senti que quelque chose n’allait pas vraiment, se souvient Hervé, tous ces petits manquements que j’aperçois au fur et à mesure, je les mets de côté ». Un réflexe salutaire. Deux ans plus tard, après des signalements effectués en interne à plusieurs niveaux hiérarchiques pour dénoncer de multiples dysfonctionnements, il reçoit une convocation pour un entretien préalable à sanctions disciplinaires. « Première chose que je fais, je me connecte à mon compte professionnel, et là, plus de compte professionnel. Comment puis-je me défendre ? ».