Dépakine, action de groupe contre Sanofi : 3 questions à la lanceuse d’alerte Marine Martin

Le Tribunal de Paris a rendu, le 5 janvier dernier, son verdict en reconnaissant un défaut  d’information et de vigilance de la part du laboratoire Sanofi-Aventis, contre lequel une action de groupe était menée depuis mai 2017 par une dizaine de familles, dont Marine Martin, lanceuse d’alerte sur la dangerosité de ce médicament et présidente de l’association d’aide aux Parents d’Enfants souffrant du Syndrome de l’Anticonvulsivant (APESAC).

Dans quel contexte s’inscrit ce procès ? Quels étaient les enjeux ?

Marine Martin : La Dépakine est un antiépileptique commercialisé par le laboratoire Sanofi et responsable de 11% de malformations et de 30 à 40% de troubles neurodéveloppementaux chez des milliers d’enfants. L’APESAC, l’association que j’ai fondé en 2011 pour informer sur les dangers de ce médicament et défendre les victimes, a intenté une action de groupe en 2017 pour faire reconnaître la responsabilité de Sanofi dans ce scandale.

L’enjeu de cette audience était de juger si oui ou non l’action de groupe de l’APESAC était recevable et à quelles conditions des victimes de la Dépakine pouvaient se joindre à cette nouvelle procédure. Le tribunal judiciaire de Paris a jugé que le groupe Sanofi avait « commis une faute en manquant à son obligation de vigilance et à son obligation d’information » concernant les risques du médicament Dépakine. Il a par ailleurs estimé « recevable » l’action de groupe présentée par l’association de victimes de la Dépakine contre le laboratoire. Même si Sanofi a d’ores et déjà annoncé son intention de faire appel du jugement, c’est une première victoire majeure !

Pourquoi une action de groupe ?

MM : En 2015-2016, avec d’autres associations de victimes – celle du Médiator, du Distilbène, du syndrome de Lyell – et avec l’aide des députés Gérard Bapt et Delphine Batho, nous avons proposé de modifier la législation pour rendre possible l’action de groupe en matière de santé qui n’était possible, à l’époque, que pour les consommateurs. En 2016, l’Assemblée Nationale a voté cette possibilité pour les victimes et l’APESAC a été la première a déposé plainte. Cette action de groupe était cohérente avec notre objectif de fédérer les familles face à un mastodonte de l’industrie pharmaceutique tel que Sanofi. Cette procédure vient s’ajouter à des plaintes individuelles au civil et à la plainte en cours au pénal pour laquelle Sanofi est mis en examen depuis 2020 pour « tromperie aggravée » et « blessures involontaires », mais aussi « homicides involontaires ».

Quelles sont les prochaines étapes et quelles suites espérez-vous ?

MM : Le tribunal a fixé des dates balisant la période pour laquelle le laboratoire est jugé responsable, et c’est là l’ombre au tableau pour les victimes. La justice estime que Sanofi connaissait et n’a pas pris en compte le risque de malformations congénitales de 1984 à 2006. Mais pour les troubles neurodéveloppementaux, il réduit cette période de 2001 à 2006. Ces dates sont très restrictives et non conformes aux données de la science qui sont en notre possession aujourd’hui. Certaines personnes pourraient être exclues de l’action de groupe et ne bénéficier d’aucune indemnisation : ce n’est pas satisfaisant.

Nous allons faire appel de cette décision. Nous considérons que dès 1984, pour les malformations comme pour les troubles neurodéveloppementaux, la responsabilité du laboratoire est engagée, et ce, jusqu’en 2015. C’est en 2015 seulement que, sous mon impulsion, les conditions de prescription au niveau européen ont été modifiées et en 2017 qu’un pictogramme a été apposé sur les boîtes.

Sanofi également va faire appel de cette décision. Depuis le début du procès, le laboratoire rejette toute responsabilité, ce qui est profondément scandaleux pour les victimes, qui subissent au quotidien le handicap de leurs enfants, qui vient s’ajouter à leur propre maladie : l’épilepsie. Il est urgent que Sanofi indemnise les victimes pour la prise en charge des enfants. Ces enfants, même devenus adultes, ont besoin au quotidien d’un aidant familial pour les gestes simples du quotidien tel que manger, s’habiller, répondre aux demandes administratives. Ils sont dans la grande majorité dépendants. Tout cela parce leur mère a été mal informée durant la grossesse et que les dangers de la Dépakine n’ont pas été communiqués par le laboratoire !