Facebook Files : « Le cas de Frances Haugen doit nous alerter sur les angles morts de la législation actuelle »

Frances Haugen, la lanceuse d’alerte à l’origine de révélations sur les manquements de Facebook en matière de lutte contre les contenus haineux, la violence en ligne et la désinformation, s’exprimera demain, mercredi 10 novembre, devant la représentation nationale française à quelques jours du débat sur la proposition de loi consacrée à la protection des lanceurs d’alerte déposée par le député Sylvain Waserman.

Si le témoignage de Frances Haugen est d’une importance cruciale pour avancer dans la lutte pour les libertés numériques et la régulation des « géants du web », il permet également de pointer des aspects importants et encore lacunaires de la protection des lanceurs d’alerte et du traitement de leurs alertes dans le monde mais aussi en France.

À moins de deux mois avant l’expiration de son délai de transposition, la directive européenne pour la protection des lanceurs d’alerte n’a été transposée que dans un seul pays membre de l’Union : le Danemark. En France, une proposition de loi est actuellement à l’étude de la commission des lois et devrait être débattue les 17 et 18 novembre prochains à l’Assemblée nationale mais elle n’est pas encore inscrite à l’ordre du jour du Sénat.

Cette proposition de loi, ainsi qu’une partie des amendements d’ores et déjà déposés pour l’améliorer, vont dans le bon sens et reprennent une grande partie des propositions portées par la coalition d’organisations – associations et syndicats – réunies par la Maison des Lanceurs d’Alerte.

Elle reste toutefois lacunaire sur des aspects que le cas spécifique de Frances Haugen permet d’éclairer.

Tout d’abord, le traitement des alertes reste encore trop peu effectif alors même qu’il devrait être l’objet central des préoccupations des personnes mises en cause et des autorités. La médiatisation dont bénéficie Frances Haugen poursuit un schéma encore trop fréquent consistant à n’accorder d’attention qu’à la personne à l’origine des signalements et aucune au contenu du signalement lui-même. Dans de nombreux cas, cette logique porte préjudice aux lanceurs d’alerte : l’effort est alors mis sur les sanctions et les entraves, et écarte totalement l’idée de résolution des problèmes et la compensation des manquements constatés. Cette situation n’est pas acceptable : en négligeant le message pour se concentrer sur le messager, ce sont nos droits, nos libertés et notre intégrité qui continuent d’être mises en danger. Le cas de Frances Haugen doit nous alerter sur la nécessité de prendre les alertes en considération et de mettre en place une parcours technique et juridique garantissant que celles-ci soient traitées.

Il illustre également le rôle des organisations qui soutiennent et relaient les alertes. Les révélations de Frances Haugen sont d’une importance cruciale pour faire avancer la lutte contre la désinformation et la violence en ligne, et préserver ainsi la santé mentale des individus mais aussi, bien plus largement, le bon fonctionnement de nos démocraties. La démarche de Frances Haugen est d’intérêt général voire d’utilité publique mais elle n’a pu accomplir tout cela seule. Elle a bénéficié du soutien d’organisations telles que Whistleblower Aid ou The Signals Network. Localement, son alerte a été relayée par des organisations de défense des libertés numériques ou luttant pour des alternatives sociales et économiques. Ces organisations contribuent à donner une caisse de résonance aux informations révélées. Dans certains cas, elles permettent aux lanceurs d’alerte de rester anonymes et de ne pas s’exposer en faisant porter leur alerte par des collectifs mieux armés pour répondre aux attaques et supporter les tentatives de représailles dont ils ne manquent pas, toutefois, de faire à leur tour l’objet. Il est indispensable que les États prennent en compte cette réalité et prévoient un droit qui protège également ces organisations. Il est essentiel, notamment, de leur accorder le bénéfice de la protection des sources afin qu’elles ne soient pas contraintes de révéler l’identité de ceux et celles qu’elles ont précisément vocation à protéger.

Dans bien des cas, en France comme ailleurs, les alertes et les lanceurs d’alerte restent inconnus du grand public. Ce n’est pas la trajectoire suivie par Frances Haugen mais elle n’est pas pour autant extraordinaire. Son cas est, à plusieurs égards, emblématique et doit permettre une prise de conscience sur l’importance d’améliorer la culture de l’alerte en France, en garantissant un traitement effectif et rapide des alertes et en améliorant la protection de ceux et celles qui prennent des risques au bénéfice de tous.

 

 

 

 

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