Protection renforcée, clarification des autorités en charge de traiter les alertes, prise en charge des frais de justice… Le 1er septembre, la nouvelle loi améliorant la protection des lanceurs d’alerte entrera en vigueur. Mais que change-t-elle réellement ? Et surtout, où reste-t-il des failles ?
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Des avancées pour les lanceurs d’alerte
La loi du 21 mars 2022 vient transposer une directive européenne sur la protection des lanceurs d’alerte, tout en sauvegardant les acquis de la loi Sapin 2, parmi lesquels la définition large du lanceur d’alerte, incluant les menaces et préjudices pour l’intérêt général et les alertes lancées en dehors du cadre professionnel.
Nadège Buquet, coprésidente de la Maison des Lanceurs d’Alerte et déléguée générale de Transparency France, revient sur l’importance de ces mentions : « C’est ici l’essence même du droit d’alerter qui est en jeu : il s’agit non seulement de dénoncer des illégalités mais aussi de stimuler le débat public et faire évoluer les mentalités et les législations lorsqu’elles accusent un retard sur les aspirations des citoyens« . C’est en effet cette définition large qui permettrait aujourd’hui à un lanceur d’alerte comme Antoine Deltour, qui a révélé l’optimisation fiscale agressive des multinationales (LuxLeaks), ou Marine Martin, cette mère de famille qui a dénoncé les effets désastreux et le manque d’informations sur le valproate de sodium (Dépakine), d’être protégés.
Mais surtout, la nouvelle loi simplifie et clarifie le processus de signalement et les étapes à suivre pour bénéficier d’une protection. Elle lève l’obligation de signaler préalablement les faits en interne, qui exposait les lanceurs d’alerte aux représailles, et leur donne un droit d’option : ils peuvent désormais, en fonction de leur situation, choisir entre le signalement interne – auprès du supérieur hiérarchique par exemple – ou le signalement externe – en s’adressant directement à une autorité administrative, judiciaire ou professionnelle.
Avec la nouvelle loi, la divulgation publique – via la presse par exemple – reste un dernier recours mais elle élargit les conditions dans lesquelles un lanceur d’alerte peut révéler publiquement les faits sans effectuer de signalement interne ou externe au préalable : par exemple, lorsqu’il a des raisons sérieuses de penser que l’autorité en charge de son alerte pourrait être en conflit d’intérêts avec l’auteur des faits dénoncés.
Les lanceurs d’alerte bénéficient maintenant par ailleurs d’une immunité pénale complète (pour la divulgation d’informations mais aussi pour les moyens nécessaires à l’obtention de celles-ci, tant que ceux-ci sont licites) et ont la possibilité de demander au juge une provision pour frais, à la charge de la partie adverse, en cas de procédures judiciaires.
La reconnaissance du rôle des facilitateurs
Autre avancée notoire : l’introduction du rôle de facilitateur et son ouverture aux organisations à but non lucratif (associations, syndicats…) qui soutiennent les lanceurs d’alerte. Concrètement, les personnes physiques et morales venant en aide aux lanceurs d’alerte dans le processus de signalement bénéficieront des mêmes protections que ces derniers, leur permettant ainsi de jouer pleinement leur rôle de pare-feu.
Néanmoins, contrairement aux préconisations avancées par la coalition d’organisations réunies par la Maison des Lanceurs d’Alerte, ces organisations « facilitatrices » ne bénéficient pas de la protection des sources. « Cela leur permettrait, à l’instar des journalistes, de taire le nom de la personne qui les a renseignées en cas d’enquête judiciaire. Aujourd’hui, dans un tel cas de figure, elles n’ont d’autre choix que de révéler leur identité à l’autorité judiciaire ce qui contrevient à leur mission de protection et détourne du plus important : les dysfonctionnements et abus signalés ! » explique Pauline Delmas, juriste à la Maison des Lanceurs d’Alerte.
Des lacunes persistantes
La Maison des Lanceurs d’Alerte regrette également l’absence d’un fond de soutien public. « Lancer l’alerte a un coût, rappelle Nadège Buquet, et ce même lorsqu’il n’y a pas de procédures judiciaires. La provision pour frais est une avancée majeure mais elle reste insuffisante pour prendre en compte tous les cas de figure. La création de ce fonds de soutien est un impératif démocratique et nous regrettons que le gouvernement ne s’en soit pas saisi. »
Par ailleurs, le texte prévoit certes un renforcement des sanctions contre les étouffeurs d’alerte mais elles restent peu dissuasives, notamment pour les grands groupes, qui risquent au maximum une amende de 60 000 € (au lieu de 30 000 €) en cas d’agissements visant à faire taire un lanceur d’alerte.
Des ombres au tableau qui ne sauraient doucher l’espoir des organisations mobilisées, à l’initiative de la Maison des Lanceurs d’Alerte, pendant plus de 10 mois. « Cette loi porte en elle l’espoir d’un réel renforcement des droits des lanceurs d’alerte » déclaraient-elles dans un communiqué publié en décembre, rappelant néanmoins qu’elles resteraient « vigilantes quant aux suites données à ce texte pour qu’il soit effectivement protecteur« .
Un décret, actuellement entre les mains du Conseil d’État, doit en effet venir préciser certains points majeurs notamment la liste des autorités habilitées à recevoir et traiter les signalements.
Et dans les autres pays européens ?
La loi du 21 mars 2022 vient transposer la directive européenne du 23 octobre 2019 sur la « protection des personnes qui signalent des violations du droit de l’Union ».
La France est le 8ème pays à transposer cette directive, quelques semaines après la date limite du 17 décembre 2021. Le Danemark, la Suède, le Portugal ou encore la Lituanie l’ont précédée, adoptant des législations plus ou moins ambitieuses.
Au 1er septembre 2022, 16 pays n’ont pas encore transposé la directive et sont sous le coup d’une procédure d’infraction ouverte par la Commission européenne.