6 questions à Flore Talamon, autrice de la bande dessinée “Lanceurs d’alerte”

Disponible en librairie le 13 octobre 2021, la bande dessinée de Flore Talamon Lanceurs d’Alerte raconte les parcours de 10 personnes qui ont eu le courage de révéler des abus au risque de bousculer des intérêts politiques ou économiques. Racisme, évasion fiscale, maltraitance, pollution environnementale… L’autrice plonge le lecteur au cœur des histoires de ces lanceurs d’alerte, illustrant leurs motivations, leur combat et parfois les désillusions auxquelles ils ont dû faire face. Un récit ponctué de conseils pour tirer les leçons de chacune de ces histoires singulières et aider les lanceurs d’alerte à mieux se protéger.

Lire un extrait de la BD

 

Cette BD est une des premières à aborder la question des lanceurs d’alerte en tant que telle. Pourquoi vous intéresser à cette thématique ?

FT : Cet ouvrage est un peu au croisement entre mon expérience de scénariste de bande dessinée et mon expérience dans le monde du travail et plus particulièrement dans le secteur privé. Elle m’a permis de me rendre compte à quel point les salariés hésitent à signaler des actes irréguliers, par peur du licenciement ou d’autres représailles, mais également de constater que les alertes n’aboutissent pas toujours, par manque de relais et de soutien.
Je suis quelqu’un qui attache beaucoup d’importance à l’équilibre des forces, au respect des lois et des plus faibles. Ce qui explique ma sensibilité à la question des lanceurs d’alerte.

Les lanceurs d’alerte sont nombreux, leurs histoires soulèvent bien souvent des questionnements. Comment avez-vous travaillé ?

FT : Cela fait près de deux ans que j’ai commencé à réfléchir à l’idée d’une BD sur les lanceurs d’alerte avec mon éditeur. J’ai rapidement pensé à un panorama qui permettrait de mettre en avant différentes manières de lancer l’alerte et d’en tirer des enseignements. J’avais la volonté de montrer l’hétérogénéité des profils de lanceurs d’alerte, issus du privé, du public, des hommes et des femmes. J’avais surtout à cœur de raconter le parcours de ces personnes non professionnelles de l’alerte, qui ne sont ni journalistes, ni avocats, ni activistes. Des personnes confrontées à ces événements à leurs dépens.
Pour recueillir ces témoignages, j’ai procédé à des interviews très détaillées. Le chapitre sur la Dépakine, par exemple, est assez technique car il met en jeu des notions de santé complexes. S’en est suivi un travail très minutieux de vérification, de relecture pour s’assurer de rester fidèle aux faits.
L’aide de la Maison des Lanceurs d’Alerte a été précieuse pour tirer des conseils avisés de ces expériences mais aussi pour qualifier les faits et vulgariser des termes juridiques comme “détournement de fonds” ou encore “faux et usage de faux” par exemple.

En quoi ce projet se différencie de vos autres travaux ?

FT : Tout d’abord parce qu’il s’agit de mon premier ouvrage engagé, après deux BD historiques. Je voulais parler d’actualité et de sujets intéressant tout un chacun. Je souhaitais dès le début m’intéresser à des cas d’intérêt général comme l’environnement, la maltraitance animale, le racisme.
Ce qui change c’est également la manière dont ce projet a été pensé : chaque histoire pourrait tout à fait faire l’objet d’une BD à elle seule ! Il a donc fallu aborder chaque histoire sous un angle différent et en faire ressortir un raisonnement, accompagné, pour chacune, de conseils spécifiques et de leçons à tirer.

Une chose à retenir des indications et conseils donnés dans cette BD ?

FT : J’en aurai trois ! Dès que l’on pense avoir assisté à quelque chose de répréhensible ou de néfaste à la collectivité, l’important est de se rapprocher de spécialistes, dont on a pris soin d’indiquer les contacts dans le livre. Puis de collecter des preuves et de les mettre en lieu sûr. Enfin, il est essentiel de protéger le plus possible son anonymat en communiquant à l’aide de moyens sécurisés.

Et selon vous, qu’est-ce que la BD apporte à un lanceur d’alerte ? Au public plus généralement ?

FT : À mon sens, elle a vocation à faire prendre conscience que le processus de l’alerte est complexe mais qu’il offre cependant des opportunités. J’aime utiliser la métaphore du champ de mines : il faut se dire dès le départ qu’on s’aventure sur un terrain risqué mais qu’il est possible, en s’entourant de conseils professionnels, de faire cesser les abus, sans s’exposer exagérément.

Elle vient aussi redéfinir ce qu’est le lanceur d’alerte, qui est aujourd’hui devenu un mot très galvaudé. Certains groupes utilisent ce terme de manière détournée pour héroïser leurs idées politiques.

Enfin, ces histoires permettent d’avoir plus de considération pour les gens qui osent parler. Il est naturel qu’une personne avec un discours dissident, même lorsqu’il est juste, soit évincée par le groupe mais c’est souvent très violent pour la personne qui vit cette mise à l’écart. Il y a généralement un différentiel de rapport de force et d’argent dont les lanceurs d’alerte paient les frais. Il est donc important de faire preuve de bienveillance envers eux surtout lorsqu’il est question d’intérêts qui sont tout sauf personnels.

Est-ce qu’une histoire vous a particulièrement touché ?

FT : Toutes me touchent, mais l’histoire de Karim [ndlr : Karim Ben Ali, chauffeur sous-traitant chez ArcelorMittal qui a révélé des déversements illégaux d’acide dans le crassier de Marspich en Moselle] résonne particulièrement car il est l’exemple même de quelqu’un qui a agi selon son cœur et sans aucune conscience de ce dans quoi il s’embarquait. Il faut savoir que très souvent, les lanceurs d’alerte ont beaucoup à perdre, ce qui est le cas de Karim. Mais le dénouement nous donne à voir le positif : son combat courageux a poussé les collectivités locales à demander des comptes aux pollueurs.

 

 

 

 

 

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