Peu de procès auront aussi cruellement illustré l’adage « les cordonniers sont toujours les plus mal chaussés ». Inspectrice du travail et chargée à ce titre de faire respecter les droits des salariés, Laura Pfeiffer a, le 3 mars 2021, vu sa condamnation pour « violation du secret professionnel et recel de documents confidentiels » confirmée par la Cour de Cassation.
En 2013, Laura Pfeiffer s’est vue communiquer des e-mails envoyés et reçus par la direction de l’usine Tefal à Rumilly après qu’il lui ait été demandé par sa hiérarchie de revoir sa position vis à vis de l’entreprise. En tant qu’inspectrice du travail, elle lui demandait en effet de renégocier l’accord sur la réduction du temps de travail qu’elle jugeait illégal.
Persuadée que ces courriels démontraient l’existence d’une collusion entre la direction de Tefal et son supérieur hiérarchique, la fonctionnaire avait communiqué les courriels en question à plusieurs syndicats, qui ont par la suite médiatisé l’affaire.
Or, ces e-mails ont été transmis par un salarié de l’entreprise qui les avaient obtenus de façon illicite. Suite à la publication d’articles de presse, Tefal avait déposé une plainte contre X pour « introduction frauduleuse dans un système de traitement automatisé de données ». L’instruction judiciaire avait permis d’identifier l’inspectrice du travail et sa source, qui furent tous deux condamnés, en première instance puis en appel.
Cette décision de la Cour de Cassation, après 7 années de procédure, est emblématique des dysfonctionnements et des failles de la protection des lanceurs d’alerte.
En 2016, le procès en appel de Laura Pfeiffer avait suscité un mouvement de soutien intersyndical.
Elle montre l’insécurité juridique dans laquelle se trouvent les lanceurs d’alerte lorsqu’ils contactent des syndicats ou des autorités comme l’Inspection du travail, qui ne peuvent pas protéger leurs sources à la manière des journalistes. Dans l’affaire de Laura Pfeiffer, l’anonymat de la source a été levé par des mesures d’enquête judiciaire. Une lacune qui s’applique aussi aux associations. « Faute de pouvoir garder leur identité secrète, les ONG, les syndicats, les institutions… ne peuvent pas protéger correctement les lanceurs d’alerte qui les saisissent quand ils sont soumis à une enquête. Ils sont contraints de violer la confidentialité alors même que c’est une garantie fondamentale de la loi Sapin 2 » explique Juliette Alibert, avocate auprès de la Maison des Lanceurs d’Alerte. Pour elle, cet état de fait risque de « dissuader les lanceurs d’alerte de faire appel à ces organisations et les pousser à s’exposer personnellement sans bénéficier de la force du collectif ».
Cette décision témoigne également d’un hiatus généré par la législation actuelle qui protège les lanceurs d’alerte contre les poursuites pour violation d’un secret, mais ne protège pas ces derniers contre les délits qui criminalisent l’accès à l’information. Comme le rappelle Jean-Philippe Foegle, chargé du plaidoyer à la Maison des Lanceurs d’Alerte, « de nombreuses incriminations pénales telles que le vol de documents ou l’intrusion dans un système informatique permettent de poursuivre pénalement des lanceurs d’alerte pour avoir simplement accédé à des informations ou stocké ces dernières sur une clef USB. Ils l’ont fait pour dénoncer des faits répréhensibles, et ce sont eux qui se trouvent accusés. Le message envoyé est cynique et cela fragilise considérablement le statut. »
La Maison des Lanceurs d’Alerte propose de lever ce paradoxe en garantissant aux lanceurs d’alerte une immunité pénale pour l’obtention d’informations confidentielles dès lors qu’il est démontré qu’ils ont agi de bonne foi et dans l’intérêt général. « Ce sont les critères qui permettent d’obtenir une protection au titre de lanceur d’alerte et celle-ci doit être renforcée. L’irresponsabilité pénale pour l’obtention de documents qui permettent de faire cesser des abus graves fait partie des améliorations urgentes » conclut Jean-Philippe Foegle.