Verdict sur l’affaire du Mediator : plus de 10 ans après l’alerte, les laboratoires Servier sont condamnés pour tromperie aggravée

Après plusieurs années de combats menés notamment par la lanceuse d’alerte Irène Frachon pour faire reconnaître les effets du Mediator sur les patients et un procès historique dénombrant plus de 4 000 parties civiles, le tribunal judiciaire de Paris vient de rendre son verdict contre les laboratoires Servier.

Condamnés à 2,7 millions d’euros d’amende pour tromperie aggravée, cette décision tant attendue s’imposait pour ce qui a représenté un des plus grands scandales sanitaires, couvert par les laboratoires Servier et ayant fait plusieurs milliers de victimes.

Avec un chiffre d’affaire d’environ 4,7 milliards d’euros sur le seul exercice 2019/2020 et une absence de condamnation sur le terrain de l’escroquerie quand on sait que le parquet avait requis 8,2 millions d’euros d’amendes et 3 ans de prison ferme pour l’ex-numéro 2 du groupe, cette sanction pénale reste néanmoins de faible ampleur.

Poursuivis des chefs d’accusation multiples (tromperies aggravées avec mise en danger de l’homme, obtention indue d’autorisation, escroquerie, homicides involontaires par violations manifestement délibérées, ou encore blessures involontaires par violations manifestement délibérées), il aura fallu près de 11 ans de procédure judiciaire pour que les laboratoires Servier soient enfin reconnus responsables pénalement.

L’affaire a éclaté en 2010 suite à la publication par Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest de son ouvrage « Mediator 150 mg : combien de morts ? ». Elle y livre sa lutte pour faire reconnaître les effets néfastes du médicament, dans un contexte où les prévenus, les laboratoires Servier, ont tout fait pour masquer et instrumentaliser les études et pour empêcher le retrait du médicament du marché.

Pour rappel, cet anti-diabétique était commercialisé pour ses effets anorexigènes, son effet dit « coupe-faim ». Dès 1990, la reconnaissance de la nocivité de principes actifs similaires, le fenfluramine et du dexfenfluramine, avait été admise et ces médicaments ont été retirés du marché en 1997.

À l’inverse, le Mediator (benfluorex) est resté sur le marché douze années supplémentaires ! Or, l’enquête menée par l’Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) en 2011 révélait dès 1995, qu‘une corrélation entre la prise du Mediator et le développement de pathologies associées à la prise de fenfluramine ne pouvait être niée.

Plusieurs études menées par la suite, au début des années 2000 corroboraient déjà ces résultats.

En 2005, l’association Prescrire a alerté sur les risques de ce médicament amaigrissant, de même que le Président du Centre de Pharmacovigilance auprès de l’Agence du Médicament en 2007.

Il aura fallu attendre 2009 et des alertes de médecin, notamment le travail de fond mené par la lanceuse d’alerte Irène Frachon, pour que le Mediator soit enfin retiré du marché.

Irène Frachon, en 2016. Son livre « Mediator 150 mg : combien de morts ? » a permis de lever le voile sur le scandale de ce médicament « coupe-faim ». © Vincent Gouriou

Qu’est ce qui a justifié un tel délai ?

Inquiétés par la multiplicité des alertes médicales, les laboratoires Servier ont eu recours à des rapports d’expertises falsifiés d’experts réputés. Cette volonté de tromper sur les qualités substantielles du Mediator s’est manifestée tant par l’absence d’informations lisibles concernant son métabolisme et sa parenté avec les anorexigènes, que par l’occultation volontaire de ses effets indésirables.

Dans son rapport de 2011, l’IGAS n’avait pourtant pas hésité à qualifier les agissements du Laboratoire  de « pressions ».

Ces éléments de fait corroboraient les déclarations de Madame Irène Frachon, lors de son audition du 16 octobre 2019 devant le tribunal correctionnel de Paris qui avait rappelé que ce qui l’avait « frappée, c’est le déni inébranlable des Laboratoires Servier dès les premiers cas » ainsi que « l’ambiance de menaces et de pressions invraisemblables qui a marqué cette affaire ».

Elle avait signalé gravement ce « combat incessant contre des traductions mensongères, des propositions très faibles d’indemnisation, un défaussement permanent sur l’isoméride » : «   J’ai souvent eu le sentiment que j’ai échappé de peu à la tromperie de Servier. Je suis inconsolable comme les victimes. La plupart des victimes sont absentes car les laboratoires Servier ont acheté leur silence » espérant à l’époque que « ce procès tardif servira à protéger les victimes ».

Pour la Maison des Lanceurs d’Alerte, le scandale Mediator est en ce sens révélateur des difficultés à ce que des alertes éthiques, qui concourent pourtant au bien commun qu’est la préservation de la santé, soient traitées et reconnues dans des délais acceptables.

Pour sa co-présidente, Nadège Buquet, « si la reconnaissance de la responsabilité des laboratoires Servier dans cette affaire était attendue, la sanction pénale prononcée ce jour semble de faible mesure au regard de la gravité des faits, du nombre de victimes et des réquisitions du parquet. Face à des alertes d’une telle ampleur, il est essentiel d’envoyer un message fort aux lanceurs d’alerte, de montrer que les actes répréhensibles qui mettent en danger autrui peuvent être punis sévèrement. Ici, c’est un message en demi-teinte. À la veille de la transposition dans le droit français de la directive européenne sur la protection des lanceurs d’alerte, nous avons besoin de signaux plus encourageants. »

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