La Cour européenne des droits de l’Homme examinait de nouveau le 2 février dernier, la question de la protection des lanceurs d’alerte à travers le procès Halet, lanceur d’alerte de l’affaire des Luxleaks.
Pour rappel des faits, alors qu’il travaillait pour le cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers, le lanceur d’alerte avait transmis en 2012 des documents à un journaliste d’investigation qui enquêtait à l’époque sur des accords d’optimisation fiscale mettant en cause l’Etat luxembourgeois et le cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers pour le compte de plusieurs multinationales. Raphaël Halet avait alors été condamné pour “violation du secret des affaires”. Antoine Deltour, également lanceur d’alerte de la même affaire, avait quant à lui été condamné à une peine d’un an avec sursis avant d’être finalement innocenté.
Dix ans plus tard, mercredi 2 février dernier, Raphaël Halet était entendu une seconde fois, cette fois-ci par la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH).
La décision initiale rendue par la Cour avait alerté spécialistes et acteurs de la protection des lanceurs d’alerte, qui avaient alors sollicité une intervention en qualité de tiers dans le procès.
Le lanceur d’alerte avait exprimé que la pénalisation de son alerte portait atteinte à sa liberté d’expression telle que stipulée dans l’article 10 de la convention universelle des droits de l’Homme et du Citoyen. Il considère également que cette décision entrait en contradiction avec la jurisprudence antérieure portant sur les lanceurs d’alerte et le consensus européen sur la protection renforcée qui devrait leur être accordée.
La Cour avait confirmé, dans une jurisprudence antérieure, que l’article 10 accorde une protection spéciale aux lanceurs d’alerte comme étant une “petite catégorie de personnes, informée, ici, au travail et donc les mieux placées pour agir dans l’intérêt public en alertant l’employeur ou le grand public”.
Mais en 2021, elle avait cependant conclu que la condamnation pénale de Raphaël Halet ne constituait pas une violation de ses droits au titre de l’article 10. Cette dernière considérait que, bien que les informations révélées par le lanceur d’alerte aient été jugées d’intérêt général, son droit d’exercer sa liberté d’expression devait être concilié avec le droit d’autrui et les intérêts divers liés à la réputation et à l’activité commerciale de PwC, numéro deux mondial de prestations de services.
Elle avait initialement approuvé l’interprétation de la Cour de cassation Luxembourgeoise selon laquelle le lien entre l’intérêt général et l’information révélée n’était pas suffisant pour compenser le préjudice causé à l’entreprise, car l’information divulguée par Raphaël Halet au journaliste n’était pas “essentielle, nouvelle et inconnue jusqu’alors”.
Les défenseurs des lanceurs d’alerte, de la lutte anti-corruption ou pour la justice fiscale, s’étaient inquiétés de cette décision, basée sur un critère encore jamais retenu par des juges. Inquiètes des conséquences d’une telle jurisprudence,les organisations avaient avancé qu’un tel jugement contribuerait à fragiliser significativement la protection des lanceurs d’alerte en Europe et risquait d’entrer en conflit avec la directive européenne visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte, les recommandations du Conseil de l’Europe de 2014 mais aussi sa propre jurisprudence antérieure.
Compte tenu de la tournure préoccupante de l’affaire, plusieurs ONG européennes, parmi lesquelles la Maison des Lanceurs d’Alerte, ou encore le Whistleblower-Netzwerk en Allemagne étaient intervenues pour apporter à nouveau, en qualité de tiers, leurs contribution et commentaires à la Cour. Dans l’objectif d’amener leur éclairage et expertise issues des conclusions du consensus européen sur la protection des lanceurs d’alerte, garantie désormais, par la directive.
Cette affaire constitue une occasion importante pour la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme, de reconsidérer les principes qu’elle avait précédemment établis et décider si oui ou non, l’intervention, de Raphaël Halet pourrait, au motif de l’article 10, finalement être jugée “nécessaire dans une société démocratique”.
Le renvoi de l’affaire pourrait enfin permettre à la Cour d’évaluer si ses critères actuels, offrent une protection efficace à ceux qui révèlent des informations dans l’intérêt public, et en particulier aux lanceurs d’alerte du secteur privé.
Une cagnotte a été mise en place pour permettre au lanceur d’alerte de poursuivre son combat.
Cet article est une traduction de l’article d’Ida Nowers pour le Whistleblowing International Network (WIN). Voir l’article original.