Depuis plusieurs semaines, l’association de lutte contre la corruption Anticor bataille pour voir renouveler l’agrément lui permettant de se porter partie civile dans des affaires de corruption. Le ministère de la Justice, qui instruit le dossier, multiplie les demandes d’information et le rendu de la décision – qui relève du Premier ministre – a été reporté à plusieurs reprises. Il est actuellement fixé au 2 avril prochain.
Dans ce contexte, il nous semble essentiel, en tant qu’organisation qui soutient les lanceurs d’alerte, de rappeler l’importance, pour ces derniers, d’associations comme Anticor et de l’agrément dont elle bénéficie.
Anticor fait partie de ces organisations qui travaillent quotidiennement avec des lanceurs d’alerte. Elle rend possible la dénonciation devant la justice de faits de corruption qu’il leur est difficile de porter seuls. C’est cet agrément qui le lui permet : il lui donne la capacité d’amener, en son nom, les faits dont elle a connaissance devant les tribunaux. Des cas de détournements de fonds publics, corruption, trafic d’influence, prises illégales d’intérêts, entraves à la justice ou à l’exercice du droite de vote… dont elle est informée de l’intérieur, par des lanceurs d’alerte qui prennent des risques considérables pour faire cesser ces agissements frauduleux. Confier l’alerte à une association, les préserve de mesures de rétorsion qui sont monnaie courante et donne les moyens d’agir dans la durée.
Trop de lanceurs d’alerte sont aujourd’hui découragés par les risques qu’ils encourent : attaques en diffamation ou pour violation de secret professionnel, licenciements, mutations forcées, intimidations, menaces… Y faire face seul est impossible. La loi française ne leur offre qu’une protection a posteriori et celle-ci n’est jamais garantie. C’est pourquoi nous avons besoin d’organisations comme Anticor.
Ces organisations qui relaient les alertes permettent la prise en compte des faits divulgués et leur traitement judiciaire. Elles doivent elles aussi être protégées voire encouragées dans ces missions qui relèvent de l’intérêt général.
Car, qu’il s’agisse d’associations ou de syndicats, elles peuvent elles aussi subir des pressions. Le 12ème baromètre du Défenseur des Droits, publié en 2019, établit que 46 % des personnes syndiquées disent avoir subi des discriminations, et 36 % des personnes interrogées refusent de se syndiquer par peur des représailles. La justice instruit en ce moment même l’affaire Ikea, où des entreprises auraient été missionnées pour collecter des informations compromettantes sur des représentants syndicaux. L’Observatoire des libertés associatives a, quant à lui, documenté la diversité des attaques subies par les associations, mais aussi la gravité des conséquences qui, pour certaines, pénalisent l’existence même de collectifs dont le rôle démocratique est indéniable.
Or, donner aux organisations la possibilité de lancer l’alerte, c’est donner le temps, l’énergie et les compétences qui manquent souvent aux individus isolés pour s’assurer que l’alerte est traitée et que des actions sont menées pour mettre un terme aux abus. C’est autoriser des échanges et des analyses collectives permettant d’affiner la démarche et d’écarter des alertes injustifiées. C’est réduire la tension que ces situations génèrent en l’inscrivant dans un cadre collectif.
C’est pourquoi nous appelons le Gouvernement à prendre des mesures pour protéger les organisations qui portent, relaient ou facilitent les alertes. À l’heure où le Parlement s’apprête à transposer la directive européenne sur la protection des lanceurs d’alerte, il est pour nous essentiel que les garanties offertes aux lanceurs d’alerte, actuellement réservées aux personnes physiques, puissent être élargies aux personnes morales. Leur rôle en tant que facilitateur ou porteur d’alerte doit être reconnu et protégé. Elles doivent aussi bénéficier d’une protection du secret de leurs sources sur le modèle de celle accordée aux journalistes.
Les lanceurs d’alerte ont besoin de ce puissant bouclier que sont les associations et les syndicats qui œuvrent à leurs côtés pour faire valoir l’intérêt général. Anticor en fait partie.