Condamné en 2017 par la justice luxembourgeoise pour avoir révélé un système d’optimisation fiscale de grande ampleur dans le cadre des LuxLeaks, Raphaël Halet avait saisi la Cour européenne des droits l’Homme. La CEDH vient de reconnaître en appel qu’une telle condamnation est une violation du principe fondamental de liberté d’expression.
La Grande Chambre de la CEDH est revenue sur son interprétation initiale. Dans la décision rendue ce mardi 14 février, elle considère que la décision de la justice luxembourgeoise de condamner Raphaël Halet est une violation de l’article 10 de la convention européenne des droits de l’Homme qui protège la liberté d’expression.
Pour rappel des faits, en 2012, alors qu’il travaillait pour le cabinet d’audit PricewaterhouseCoopers (PwC), Raphaël Halet avait transmis des documents à un journaliste d’investigation qui enquêtait à l’époque sur des accords d’optimisation fiscale mettant en cause l’État luxembourgeois et le cabinet d’audit pour le compte de plusieurs multinationales. Raphaël Halet avait alors été condamné pour « violation du secret des affaires ». Antoine Deltour, également lanceur d’alerte de la même affaire, avait quant à lui été condamné à une peine d’un an avec sursis avant d’être finalement innocenté.
Raphaël Halet avait exprimé devant la CEDH que la pénalisation de son alerte portait atteinte à sa liberté d’expression telle que stipulée dans l’article 10 de la convention universelle des droits de l’Homme et du Citoyen. Il considère également que cette décision entrait en contradiction avec la jurisprudence antérieure portant sur les lanceurs d’alerte et le consensus européen sur la protection renforcée qui doit leur être accordée, acté par la directive de 2019.
Dans la décision rendue ce jour, la CEDH revient sur les conclusions qu’elle avait rendues en 2021 dans la même affaire. Elle considérait alors que, bien que les informations révélées par le lanceur d’alerte soient d’intérêt général, son droit d’exercer sa liberté d’expression devait être concilié avec le droit d’autrui et les intérêts divers liés à la réputation et à l’activité commerciale de PwC, numéro deux mondial de prestations de services.
La décision rendue ce jour revient sur cette première interprétation : la Grande Chambre rapporte en effet que l’intérêt public de la divulgation de ces informations l’emporte sur l’ensemble des conséquences dommageables qui en résultent.
Juliette Alibert, avocate auprès de la Maison des Lanceurs d’Alerte explique le sens de cette décision : « Outre une victoire individuelle majeure pour le lanceur d’alerte Raphaël Halet, cette décision est importante car elle précise comment le juge européen des libertés fondamentales apprécie la question de la protection des lanceurs d’alerte au titre de l’article 10 de la convention européenne des droits de l’Homme. La Cour précise sa jurisprudence antérieure de 2008. Notamment, elle rappelle qu’elle est très attentive aux sanctions qui visent les lanceurs d’alerte, même lorsque celles-ci sont symboliques, car elle considère que le principe même de la sanction est, selon les cas, illégitime. »
En mars 2019, la Maison des Lanceurs d’Alerte avait déposé une tierce-intervention dans cette procédure pour souligner le risque de présentait pour l’ensemble des lanceurs d’alerte le critère retenu par la justice luxembourgeoise pour condamner Raphaël Halet : le fait que l’information divulguée n’était pas « essentielle, nouvelle et inconnue ». Elle avait argué que ce critère aurait de graves répercussions sur l’effectivité de la protection des lanceurs d’alerte dans toute l’Europe et avait demandé son rejet au président de la 4ème section de la CEDH.
Si cette décision est sans nul doute une excellente nouvelle pour l’ensemble des lanceurs et des lanceuses d’alerte en Europe, et que la Maison des Lanceurs d’Alerte se félicite d’être intervenue dans cette instance, elle regrette néanmoins le parcours du combattant judiciaire que Raphaël Halet a du traverser.
« Le cas Halet est un cas emblématique de ce que peuvent traverser les lanceurs d’alerte. Si les lanceurs d’alerte n’ont souvent, et fort heureusement, pas à aller jusque saisir la CEDH, la jurisprudence est encore naissante et timorée sur ces sujets et ils sont hélas nombreux à devoir multiplier les saisines en appel voire en cassation. Pour les entreprises, la balance bénéfice-risque pèse souvent en faveur de la poursuite de la procédure judiciaire par laquelle elles peuvent espérer ruiner financièrement et moralement le lanceur d’alerte. Autant d’enjeux qui appellent urgemment le législateur européen à s’investir sur la question des poursuites-bâillons et ses effets délétères sur la liberté d’expression et la préservation de l’intérêt général. » considère Juliette Alibert.
Pour Raphaël Halet, le combat touche à sa fin, mais il n’a pas été sans peine. Une cagnotte a été mise en place pour permettre au lanceur d’alerte de financer son combat.