Lundi, 13 octobre 2025 .- Le procès des financements libyens de l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy a abouti à une condamnation historique, rappelant que personne n’est au-dessus des lois. Loin de saluer ce jugement, certains élus et médias ont choisi d’attaquer juges et journalistes, fragilisant ainsi l’État de droit et la confiance des citoyen·nes dans la justice et l’information. Nous revenons sur les faits, les enjeux et les conséquences de cette campagne de désinformation.
Le 8 janvier 2025, Mediapart lançait son documentaire Personne n’y comprend rien. Un titre provocateur et ironique pour une affaire jugée complexe, celle des financements libyens de Nicolas Sarkozy. En réalité, les enjeux du dossier sont plutôt simples : en 2007, alors candidat à la présidence, Nicolas Sarkozy aurait scellé un pacte de corruption avec les autorités libyennes. En échange du financement de sa campagne, il se serait engagé à faire réviser la peine d’Abdallah Senoussi — beau-frère de Mouammar Kadhafi et terroriste recherché par la France pour avoir commandité l’attentat contre le vol DC-10 d’UTA qui fit 170 morts, dont 54 citoyen·nes français·es — et à redorer l’image du régime de Kadhafi sur la scène internationale.
Le 25 septembre dernier, à l’issue d’un long procès qui s’est tenu du 6 janvier au 10 avril 2025, Nicolas Sarkozy a été condamné à cinq ans de prison ferme pour association de malfaiteurs en vue de la préparation du délit de corruption. S’il a fait appel, la peine est assortie d’une exécution provisoire : autrement dit, quoiqu’il arrive, Nicolas Sarkozy ira en prison. Une décision qualifiée d’« historique et inédite » par les associations Sherpa, Anticor et Transparency International France — membres de la Maison des Lanceurs d’Alerte — toutes trois constituées parties civiles et qui ont salué ce jugement dans un communiqué conjoint : « La justice y a démontré son indépendance et rappelé qu’aucun responsable politique n’est au-dessus de la loi. Ce jugement historique marque une étape essentielle dans la lutte contre la corruption et envoie un signal fort contre l’impunité. »
Lire le communiqué de Sherpa, Anticor et Transparency International France iciCes dernières semaines, nous avons néanmoins assisté — et continuons d’assister — à des prises de parole choquantes d’élu·es, relayées sans contradiction. Il ne s’agit pas de réactions isolées, mais bien d’une opération médiatique coordonnée, dont l’objectif est de brouiller le débat public : détourner l’attention du fond de l’affaire en attaquant la justice et la presse. Sur Europe 1, Jordan Bardella dénonçait « la tyrannie des juges », tandis que Marine Le Pen déclarait sur LCI qu’« un certain nombre de magistrats ont une sorte de tableau de chasse où ils essayent d’épingler un maximum de politiques », allusion directe à sa propre condamnation, survenue quelques mois plus tôt. Nicolas Sarkozy, pour sa part, a dénoncé dans une tribune parue dans le JDD, une décision qui « viole l’État de droit ».
Toujours dans cette même tribune, Nicolas Sarkozy s’en est pris directement à Mediapart, qui enquête sur ce dossier depuis 2011. Il y affirme que « l’officier de police judiciaire chargé de l’enquête […] likait les publications de Mediapart sur les réseaux sociaux ». Depuis le verdict — au sortir duquel Carla Bruni avait jeté au sol la bonnette du micro de Mediapart —, les attaques contre ce média se sont alors multipliées sur les plateaux télévisés, relayées par des élus de droite et des polémistes. Erik Tegnér, du journal Frontière, a ainsi déclaré sur Europe 1 que Mediapart aurait produit « la plus grande fake news des quinze dernières années ». Invité sur BFMTV, Fabrice Arfi, journaliste à l’origine de l’enquête, s’est même vu poser cette question : « Y a-t-il, comme le dit Nicolas Sarkozy, un complot entre la justice, la police et Mediapart pour le faire tomber ? ». Ces séquences témoignent d’une volonté manifeste de désinformer : un dossier étayé par de nombreuses preuves, un jugement de plus de 400 pages, mais dont les faits sont éclipsés par le soupçon et le renversement accusatoire.
Mais quel est le lien entre tous ces médias ? Derrière ce soutien médiatique à l’égard de Nicolas Sarkozy, se dessine la concentration des grands médias français entre les mains de quelques milliardaires. BFMTV appartient ainsi à Rodolphe Saadé après le rachat du groupe Altice. CNews, Europe 1 et le JDD, quant à eux, sont la propriété de Vincent Bolloré, dont les liens avec la famille Sarkozy sont notoires. Libération révélait récemment que le podcast de Louis Sarkozy, fils de l’ancien président, qui reçoit exlusivement des figures de droite, est financé par Bolloré et sera distribué par Europe 1. Nicolas Sarkozy siège lui-même au conseil d’administration du groupe hôtelier Accor et de Lagardère, détenus par Vincent Bolloré. Une concentration de pouvoirs économiques, politiques et médiatiques qui interrogé profondément sur les conflits d’intérêts.
Ces prises de position ne sont pas sans conséquences : la présidente du tribunal ayant jugé Nicolas Sarkozy est aujourd’hui menacée de mort. C’est le cas aussi du journaliste Fabrice Arfi, de Médiapart, pris pour cible pour avoir révélé des faits d’intérêt général. De même, la juge qui a condamné Marine Le Pen, le 31 mars 2025, à cinq ans d’inéligibilité dans l’affaire des faux assistants parlementaires européens, fait elle aussi l’objet de menaces. Face à ces attaques, le SNJ-CGT — également membre de la MLA — a rappelé dans un communiqué : « Les juges appliquent la loi votée par le Parlement et l’article 64 de la Constitution fait du président de la République le garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire. Il est particulièrement choquant que Nicolas Sarkozy, ancien président de la République, attaque des magistrats. En les ciblant, il les expose. »
Car qui menace réellement l’État de droit ? En attaquant juges et journalistes, Nicolas Sarkozy s’en prend aux contre-pouvoirs qui garantissent la transparence, l’indépendance et l’équité de nos institutions. Ces attaques ne visent pas seulement des individus : elles menacent la confiance des citoyen·nes dans la justice et dans l’information, piliers de notre démocratie. Elles transforment des magistrat·es et des journalistes en cibles, alors qu’ils exercent simplement leur rôle.
Ce 13 octobre 2025, alors que Nicolas Sarkozy est convoqué devant le Parquet financier pour connaître la date de son incarcération, nous devons nous préparer à une nouvelle vague de désinformation et de manipulations médiatiques. Dans ce contexte, l’État de droit lui-même est mis en danger. Il est urgent de le rappeler : protéger ceux qui font respecter la loi et ceux qui révèlent des informations d’intérêt général, c’est protéger la démocratie tout entière.
Crédits photo : Nicolas Sarkozy lors de la réunion annuelle 2011 du Forum économique mondial à Davos, en Suisse, le 27 janvier 2011. Copyright : World Economic Forum Photo : Moritz Hager

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