ArcelorMittal : le goût « acide » de l’inachevé

C’est un point final que la Cour d’appel de Metz a mis à l’affaire qui met en cause le site ArcelorMittal de Florange pour le déversement, sans autorisation, de rejets d’acide dans un crassier d’eaux usées à Hayange.

L’action publique est éteinte en raison d’un changement de statut juridique : l’entité locale du groupe sidérurgique – ArcelorMittal Atlantique-Lorraine qui faisait l’objet des poursuites – a fusionné avec la maison mère, ArcelorMittal France, en juillet 2019, en cours de procédure.

Un tour de passe-passe inquiétant pour le traitement des alertes en France. Cette affaire faisait suite à la diffusion, en 2017, d’une vidéo réalisée par un salarié d’un sous-traitant d’ArcelorMittal, devenu lanceur d’alerte. On y voit le transporteur routier intérimaire déverser un liquide jaunâtre qu’il présente comme de l’acide pour décaper l’acier, sur le crassier de Marspich, au milieu d’une nature verdoyante, au lieu d’être emmené dans un centre de recyclage. Il annonce faire ça plusieurs fois par semaine sur demande de sa hiérarchie. À lui seul, ce sont des milliers de litres qui sont illégalement déversés. Une version qu’ArcelorMittal dément.

En 2017, la vidéo de Karim Ben Ali, salarié d’un sous-traitant d’ArcelorMittal Florange montre des dizaines de mètres cube d’un liquide jaunâtre déversé dans le crassier de Marspich. L’entreprise est mise en cause pour « gestion irrégulière des déchets ».

« Le suivi du traitement des alertes est défaillant en France. Aucune autorité centrale n’a la charge de s’assurer que les alertes sont traitées et que des actions sont mises en œuvre pour mettre un terme aux abus. Les lanceurs d’alerte sont souvent confrontés à un mille-feuille administratif qui les fait errer d’institution en institution avant de trouver le bon interlocuteur à qui signaler les faits. Cette décision montre que même lorsque tout cela aboutit, même lorsque l’alerte est traitée, tout peut s’arrêter en un claquement de doigts. C’est décourageant ! » commente Jean-Philippe Foegle, en charge du plaidoyer de la Maison des Lanceurs d’Alerte. France Nature Environnement, une association de protection de la nature qui s’était constituée partie civile, déplore aussi un « signal désastreux envoyé aux industriels ».

Le lanceur d’alerte, lui, est toujours en grande difficulté. Fin 2018, il avait déposé plainte pour « atteinte volontaire à l’intégrité de la personne, mise en danger de la personne et infraction aux règles de la sécurité et de la santé » annonçant souffrir d’une perte de goût et d’odorat, d’irritation des yeux et d’un traumatisme psychologique. Il subit des pressions de ses collègues qui craignent pour leur emploi. Il est hospitalisé pour burn-out. Déplacé puis licencié, il est ensuite blacklisté et peine à retrouver un emploi. En mai 2018, il annonçait aux journalistes de Reporterre avoir fait « 52 boîtes de transport » et n’avoir obtenu que des refus. C’est seulement en février 2021 que son comité de soutien annonce qu’« il commence enfin à sortir la tête de l’eau grâce à un nouvel emploi ».

Hauts fourneaux de Patural à Hayange et aciérie de Sérémange en 2011. Les hauts fourneaux ont été définitivement éteints en 2018.

« Même lorsque les lanceurs d’alerte sont cadres et bien placés, c’est un coût financier et psychologique d’autant plus dur à assumer qu’il est complètement injuste. Alors quand ils n’ont pas les moyens, qu’ils risquent un emploi déjà précaire, il faut un courage surhumain » s’insurge Juliette Alibert, avocate qui accompagne de nombreux lanceurs d’alerte au sein de la Maison des Lanceurs d’Alerte. « Le gouvernement doit prendre la mesure du problème : il doit créer un fonds de soutien et garantir l’accès à une aide psychologique gratuite. La Maison des Lanceurs d’Alerte propose ces formes d’aide mais elle manque de moyens ! » poursuit-elle.

La médiatisation de l’affaire avait permis de mettre fin aux déversements mais les conséquences environnementales restent inconnues. Cette médiatisation est aussi le signe de l’échec du traitement en interne et par les autorités locales d’un problème connu. Une lacune à laquelle il est impératif que la transposition de la directive européenne pour la protection des lanceurs d’alerte remédie.

 

 

 

 

Crédits photos : Celeda

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