Paris, le 10 juillet 2025.- En refusant ce jeudi de reconnaître le statut de lanceuse d’alerte d’Houria Aouimeur, la Cour d’Appel de Paris envoie un signal inquiétant pour l’avenir des lanceurs et lanceuses d’alerte confronté·es à des représailles professionnelles. L’ancienne directrice du régime AGS (Assurance pour la gestion du régime de Garantie des créances des Salariés) espérait que soit reconnue son licenciement abusif, survenu en 2023 en représailles à ses alertes révélant un système de possibles détournements de fonds estimé à plusieurs milliards d’euros. Pressions internes jusque dans sa vie personnelle, mise à l’écart, puis licenciement : son parcours illustre les représailles que subissent nombre de lanceur·ses d’alerte. Le délibéré, très attendu, laisse un goût amer.
Nommée directrice générale de l’AGS fin 2018, Houria Aouimeur a mis en évidence des risques graves de détournement de fonds. Pour mettre fin à ces pratiques, elle effectue plusieurs signalements internes. Sans réponse concrète de la part de sa hiérarchie, elle alerte les autorités judiciaires. Deux plaintes sont déposées dès 2019 à son initiative, notamment pour des soupçons d’abus de confiance, de corruption active et passive, et de prise illégale d’intérêts. C’est à partir de ce moment qu’elle commence à subir de nombreuses représailles. Le 23 février 2023, elle est licenciée pour « faute lourde ».
Le 15 mai 2025, s’est tenue devant la Cour d’Appel de Paris l’audience1 opposant Houria Aouimeur à son ancien employeur, l’Unédic, gestionnaire du régime AGS. Après plusieurs semaines d’attentes, l’espoir laisse aujourd’hui place à la déception. Ce 10 juillet, la Cour d’Appel de Paris a débouté Houria Aouimeur en considérant qu’elle ne satisfaisait pas les critères juridiques de lanceuse d’alerte. La Cour d’Appel de Paris écarte l’existence même de la formulation d’une alerte par Houria Aouimeur. Cela conduit à écarter son statut de lanceuse d’alerte, et le bénéfice des protections qui s’y attachent.
Cette interprétation est contraire aux conclusions de la Maison des Lanceurs d’Alerte et du Défenseur des Droits, qui au terme de deux instructions de plusieurs mois et d’avis juridiques étayés, prouvent l’existence d’un continuum d’alertes sur des soupçons de corruption d’envergure majeure. C’est également au titre de ses alertes et de son action au service de l’intérêt général, que l’association Anticor a décerné son Prix Éthique 2025 à Mme Houria Aouimeur, en reconnaissance de son action exemplaire en faveur de la transparence, de la régularité de la gestion publique et du respect des principes républicains dans un domaine particulièrement exposé aux risques de dérives institutionnelles.
Cet arrêt de la Cour d’Appel s’inscrit également à contre-sens de la position récente du Tribunal Judiciaire de Paris dans ce dossier. Pour rappel, Houria Aouimeur a obtenu, le 24 juin dernier, une première victoire lorsque le Tribunal a confirmé la légitimité de son alerte. Concrètement, le Tribunal a rejeté une action en responsabilité civile intentée à son encontre par un mandataire judiciaire, privé du système de « restitutions » auquel Houria Aouimeur avait mis fin. Cette dernière avait alerté sur l’ampleur et l’opacité de ce système, qui soulevait des interrogations quant à d’éventuelles pratiques de blanchiment. Le jugement2 avait donc reconnu que l’alerte d’Houria Aouimeur avait bien permis de mettre fin à une pratique en place depuis des années, qui était non seulement illégale mais aussi contraire à l’ordre public.
Alors même que le juge mettait en exergue le rôle actif d’Houria Aouimeur pour alerter et mettre fin à un système bien ancré qui portait atteinte à l’intérêt général, la Cour d’Appel de Paris n’en a pas tiré les conséquences attendues en matière de protection. Cette décision incohérente interroge : comment nier le statut de lanceuse d’alerte à celle dont le bienfondé de la démarche d’alerte a été reconnu par le tribunal judiciaire de Paris lui-même ? Comment nier les représailles graves et tentatives d’intimidation subies par Houria Aouimeur tout en confirmant la compétence du juge des référés pour statuer sur l’existence de mesures de représailles ?
Manon Yzermans, responsable juridique de la Maison des Lanceurs d’Alerte réagit « Nous déplorons la position restrictive de la Cour qui conduit à réduire à néant quatre années d’alertes ininterrompues dans un combat pour sauvegarder l’intérêt général. Refuser la reconnaissance du statut d’Houria Aouimeur, c’est précariser dangereusement la situation de ces vigies de la démocratie, qui se trouvent déjà dans une situation de grande vulnérabilité. La Maison des Lanceurs d’Alerte salue néanmoins la confirmation par la Cour d’Appel de Paris de la compétence du juge des référés pour statuer sur l’existence de mesures de représailles. Cette compétence spéciale du juge de l’urgence est cruciale pour assurer une protection effective des lanceurs d’alerte et un traitement judiciaire de leur dossier dans un délai raisonnable. »
Pour Houria Aouimeur, le combat judiciaire ne s’arrête pas là. La Maison des Lanceurs d’Alerte poursuit son engagement à ses côtés, car il s’agit désormais de faire valoir ses droits et ceux de sa facilitatrice dans le cadre de l’étude du fond du dossier par le Conseil des Prud’hommes lors de l’audience qui aura lieu le 18 septembre prochain.
Contact presse : presse@mlalerte.org
- Soupçons de corruption au sein de la garantie des salaires AGS – la justice amenée à se prononcer sur le statut de lanceuse d’alerte de son ancienne directrice générale, Communiqué du 15 mai 2025 ↩︎
- Soupçons de corruption au sein de l’AGS – Une première victoire pour Houria Aouimeur : le tribunal judiciaire de Paris confirme la légitimité de son alerte, Communiqué du 30 juin 2025 ↩︎

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