Pesticides dans des vins labellisés HVE : 3 questions à la lanceuse d’alerte Valérie Murat

Le 25 février 2021, malgré une mobilisation de soutien internationale, Valérie Murat et l’association Alerte Aux Toxiques ont été condamnées à payer 125 000 € au CIVB (Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux) et à d’autres professionnels du vin après avoir signalé la présence de pesticides de synthèse dans les vins de plusieurs domaines bordelais labellisés HVE (Haute Valeur Environnementale). À l’occasion du lancement de la semaine des alternatives aux pesticides, la lanceuse d’alerte revient sur son combat et la difficulté à s’attaquer aux lobbies du vin.

Vous avez lancé une alerte sur la présence de pesticides dans des vins labellisés HVE. Pourquoi ? Quel a été votre déclic ?

Valérie Murat : Depuis 2018, nous faisons réaliser, par un laboratoire agréé, des analyses de résidus de pesticides dans les vins pour mesurer les écarts entre les belles paroles, les promesses et la réalité des pratiques. Fin 2019, nous nous sommes intéressés au label HVE car les consommateur.rice.s de vin ne lisent pas les cahiers des charges, contrairement à nous ! Nous souhaitions les informer sur les pratiques professionnelles pour produire des vins HVE, afin qu’iels puissent faire un choix éclairé. Le nom et les images utilisées font penser qu’il n’y aurait rien de mieux, rien au-dessus de ce label dont le graphisme évoque une production respectueuse de la biodiversité.

Or, HVE autorise l’utilisation de pesticides de synthèse parmi les plus dangereux (CMR, PE et Sdhis) et ceci n’apparaît pas sur l’étiquette, contrairement à ce qu’évoque le petit médaillon posé la bouteille avec un papillon, un soleil, un bosquet. Rien de nouveau avec ce que je dénonce depuis plus de 10 ans et les informations que délivre l’association dont je suis porte-parole : pour produire la majorité des vins du bordelais (plus de 80%), nous baignons chaque année, d’avril à septembre, dans les vapeurs des substances actives utilisées en viticulture qui sont dangereuses pour la santé et l’environnement.

 

Comment votre alerte a-t-elle été reçue ?

VM : Dès la publication de notre dossier, nous avons reçu énormément de témoignages et de remerciements des consommateur.rice.s : « Merci de nous ouvrir les yeux », « Le week-end dernier au restaurant, je me suis faite avoir, on m’a donné une bouteille HVE alors que je demandais du vin bio, on ne m’y reprendra plus ! », « Vos actions sont d’utilité publique »…

En revanche, du côté des professionnel.le.s en chimie de synthèse, nous avons subi un déferlement d’insultes et de menaces d’une violence inédite. Nos détracteurs ont créé de faux profils sur les réseaux sociaux pour discréditer notre dossier partout où il était relayé. Pour, aussi, m’insulter, m’attaquer personnellement et mieux détourner l’attention du message que nous cherchions à faire passer. Certaines d’entre elleux n’ont pas hésité à salir la mémoire de mon père, décédé à cause des pesticides il y a 10 ans, pour tenter de m’atteindre.

Si les autorités n’ont jamais réagi à la publication, la justice locale a complètement pris parti pour le lobby de la bourgeoisie viticole et l’omerta qu’elle entretient. Bien qu’elle me reconnaisse lanceuse d’alerte dans le jugement, elle a exaucé les volontés des demandeurs sans même qu’ils n’apportent la moindre preuve, ni lien, de ce dont ils nous accusent ! Nous avons été condamnées sur des allégations et avec toute la démesure qui caractérise la volonté des demandeurs de nous asphyxier : une association loi 1901 et sa porte-parole smicarde condamnées à payer 125 000 € à un lobby puissant et des châtelains. Nous avons d’ailleurs ouvert une cagnotte car nous devons provisionner cette somme pour pouvoir faire appel.

Contribuer à la cagnotte

Cette affaire a au moins le mérite de montrer en dehors des frontières du département et du pays, les pratiques typiques et la violence qui règnent dans le Bordelais pour faire taire celles qui parlent.

Qu’est-ce qui est le plus dur pour vous dans ce combat ?

VM : Constater que dans le Bordelais les choses avancent à la vitesse d’un tanker dans une mer de glace. C’est la plus grande appellation de France, mondialement connue : elle devrait être la locomotive qui entraîne toutes les autres et donne un avenir viable aux professionnel.le.s. Au lieu de ça, elle cumule les palmarès, peu reluisants, de consommations des pesticides les plus dangereux pour produire des vins. Or, le Bordelais vient juste de rattraper la moyenne nationale en bio : 17%. Rien de glorieux car d’autres appellations sont bien plus en avance qu’ici !

Le pire pour moi, c’est que dans quelques jours, les pulvérisations de pesticides vont recommencer dans l’indifférence générale, comme chaque année, malgré toutes les actions que nous continuerons de mener.

En savoir plus : voir le site d’Alerte aux toxiques

 

 

 

Crédits photo : jcstudio